Par Amos BAMAL

Jn 21, 1-19

                        Les témoins du Ressuscité.

Le texte de l’évangile de ce dimanche nous présente l’apparition de Jésus mort et ressuscité à ses disciples au bord du lac de Tibériade et la mission qu’il confie à Pierre de prendre soin de son troupeau (de ses brebis et de ses agneaux). Tout commence par une décision de Simon Pierre après la mort de Jésus d’aller à la pêche, une pêche qui s’est avérée infructueuse. C’est là, dans cette situation d’échec que Jésus le Ressuscité rejoint ses disciples et se manifeste à eux. Ainsi cette pêche nocturne représente fort probablement le marasme intérieur où se trouvent les apôtres à la suite des événements de la passion. De toute évidence, ils ne savent plus où ils en sont, ils pensent que tout est fini pour eux après la mort de leur Maître et les voilà en quelque sorte ramenés à la case départ, aux barques et aux filets qu’ils avaient quittés quelques années auparavant. On les imagine retrouvant les réflexes et les gestes du métier, avec cependant un vague sentiment d’échec. D’autant plus que le résultat de l’opération est complètement nul : aucun poisson pris de toute la nuit.

Nous aussi, nous connaissons ce sentiment décourageant de « pêcher » dans la solitude et dans la nuit, « sans rien prendre », c’est-à-dire sans résultat tangible : de ramer dans la vie de famille ou la vie de couple quand la tendresse semble se faner ; de ramer dans une société dominée par l’argent et le pouvoir ; de ramer  pour annoncer l’évangile à des personnes totalement indifférentes ou inconscientes de l’urgence de la foi et de la conversion…oui, où nous faisons si souvent le constat que nos filets sont vides !

L’évangile souligne que, depuis leur barque, les apôtres ne reconnaissent pas Jésus sur le rivage… Il n’y a pas que la distance ou peut-être la brume matinale sur le lac. La distance est surtout dans le cœur « lent à croire », et le brouillard traîne dans leur esprit incertain. En réalité, ils cherchent Jésus où il n’est plus, comme il n’est plus. Jésus ressuscité est autre. Ils n’ont pas encore fait le pas de la foi pascale. Il ne nous est pas facile, à nous non plus, de reconnaître la présence du Seigneur à nos côtés. Affairés ou encombrés de nos soucis, nous ne percevons pas sa voix qui nous appelle et nous demande si nous avons « un peu de poisson », c’est-à-dire des forces et de l’espoir dans nos cœurs. Bien qu’étant des spécialistes de la pêche, Pierre et les autres apôtres ont pêché toute la nuit durant mais sans rien prendre. Mais au matin, fatigués et déçus, Jésus leur demande de jeter le filet, ils lui obéissent et cette fois, le résultat dépasse toute leur espérance, ils attrapent une très grande quantité de poissons. Là où malgré tes compétences et tes qualités, tu as peiné toute la nuit sans rien prendre, où ton travail n’a pas marché, là où tes affaires ont piétiné, là où tu as échoué, le Seigneur est capable de te faire réussir. A condition que sous son ordre, tu acceptes d’essayer une fois de plus et à l’endroit précis qu’il t’indique. L’évangile parle de 153 poissons. Ce chiffre symbolique correspond au nombre d’espèces de poissons connues à l’époque. C’est une manière de rappeler la mission universelle à ceux qui sont appelés à devenir « pêcheurs d’hommes ». Mais il ne faut pas oublier que cette pêche extraordinaire n’a été possible qu’avec le Seigneur. Les apôtres ont jeté les filets mais c’est lui qui les a remplis. C’est vrai pour tout travail missionnaire. Nous sommes envoyés pour annoncer la bonne nouvelle de l’évangile, mais c’est le Seigneur qui agit dans le cœur de ceux et celles qui l’entendent. Tout cela nous demande un amour sans faille à l’égard de celui qui nous a appelés et envoyés.

Après le déjeuner, par trois fois, Jésus pose la question à Pierre : « m’aimes-tu, plus que ceux-ci ? ». Pierre répond par l’affirmative et paraît agacé à cause de cette insistance. Il y voit certainement une allusion implicite à son triple reniement pendant la passion de son Maître. Mais ce qui est marquant c’est le fait que Jésus ne rappelle pas à Pierre le fait de son reniement mais insiste plutôt sur l’amour. Pour Jésus, c’est l’essentiel. En vérité, la question que le Seigneur lui pose, semble davantage concerner l’avenir que le passé. Jésus voudrait officiellement le désigner comme chef de son Eglise avec la lourde et délicate responsabilité de faire paître son troupeau. Dans ce mandat que Jésus donne à Pierre, il y a deux précisions qui méritent d’être soulignées. Il lui dit une fois d’être le berger de ses agneaux, et deux fois, celui de ses brebis. Les agneaux et les brebis ne sont pas la même chose. Les agneaux renvoient ici aux petits, aux faibles sur le plan matériel et surtout spirituel. Et les brebis, ceux qui sont mûrs sur le plan matériel et dans la foi. La mission de Pierre est donc de prendre soin de tout le troupeau sans exception comme un bon berger, sans aucune discrimination.

De ce dialogue entre Pierre et Jésus, nous constatons bien que Pierre a appris l’humilité et le sens de la mesure dans ses propos et ses promesses. Devant les questions persistantes de Jésus, Pierre comprend qu’il n’est pas grand-chose. Il comprend que l’autorité ce n’est pas l’habit que l’on met, ce n’est pas la prestance, ce n’est pas l’éloquence, c’est le cœur. Il comprend que Dieu ne choisit pas forcement les meilleurs, les plus parfaits, mais ceux qui sont conscients de leurs limites, de la nudité de leur vie ; ceux qui ne se prendront pas pour des maîtres, mais plutôt comme de serviteurs de leurs frères et sœurs, et pourront comprendre les limites et les faiblesses des autres. Le berger n’est pas forcément celui qui sait tout, mais celui qui sait apprendre et grandir de la vie et surtout de ses échecs et de ses limites, il n’est pas celui qui s’imagine que les autres comptent sur lui, que Dieu lui-même compte sur lui, qu’il est incontournable, mais celui qui sait compter sur les autre et surtout sur Dieu. Savoir qu’on n’est pas grand-chose, c’est le meilleur moyen de devenir quelqu’un.

Le Christ ressuscité est toujours là, même si nous ne le voyons pas. Il ne cesse de nous rejoindre chaque jour au cœur de nos vies, de nos doutes et de nos épreuves même si, très souvent, « nous ne savons pas que c’est lui ». Il vient nous pardonner, nous relever et nous faire renaître à la confiance. Et cette confiance nous permet de repartir pour une vie nouvelle. La nourriture qu’il nous propose pour refaire nos forces, ce n’est plus du poisson grillé et du pain, mais son Corps et son Sang, nourriture de force et de joie pour un nouveau matin de nos vies. Comme Pierre, nous sommes confirmés dans l’amour et envoyés pour en être les témoins et les messagers.

Amen.