Par Franck GACOGNE

Marc 10, 46-52

Voilà le récit d’une rencontre que les membres du groupe des « Cheminements Bartimée » ont ruminé et médité tant de fois ces derniers mois. Chaque détail ce cette histoire est venue nourrir, interroger, éclairer la vie, la foi et l’itinéraire de chacune de ces personnes blessées par une séparation, par un divorce ou par le regard de l’autre.

Je ne sais pas si certains d’entre vous ont déjà essayé de remonter une manifestation à contre-courant ? Ou encore si vous avez déjà essayé de tourner dans le sens inverse sur une patinoire ? Ce n’est pas simple ! Parce qu’on passe pour un boulet, pour le casse-pied de service qui perturbe, qui freine le mouvement donné.

Eh bien l’histoire de Bartimée commence elle aussi par un mouvement de foule. Si Jésus entre à Jéricho accompagné de seulement quelques disciples, en revanche, il en sort porté et entrainé par une foule nombreuse compacte et enthousiaste. De l’intérieur de la foule, on acclame le leader et, brutalement, on fait également taire la voix dissonante qui se fait entendre sur son passage. Jésus s’en aperçoit, pour lui, c’est insupportable ! Il s’arrête et stoppe immédiatement la foule dans son élan.

Il n’est pas inutile de s’interroger sur l’attitude de nos familles, le regard et les paroles portées vis-à-vis de l’un de ses membres qui a vécu une séparation, un divorce, un remariage. Il n’est pas inutile de s’interroger sur l’attitude de l’Eglise et de nos communautés paroissiales vis-à-vis de ces mêmes baptisés, qui comme Bartimée crient leur détresse et auxquels il a été si longtemps rétorqué en guise de « fin de non-recevoir » des lois morales et des principes « comme des pierres lancées à la vie des personnes » (AL305) pour les faire taire. Eh bien Jésus s’arrête… Le pape François arrête l’Eglise.

Jésus ne condamne pas l’attitude de la foule, mais il lui ordonne de changer d’attitude, de se convertir. Au lieu de passer outre la foule et d’appeler lui-même Bartimée, Jésus demande à la foule de l’appeler. D’obstacle pour Bartimée, la foule devient médiation de la rencontre et de l’approche du Seigneur. De même, le pape ne condamne pas les fidèles qui suivent le Christ, il leur demande d’accueillir, d’accompagner, de discerner et « surtout » rajoute-t-il, « d’intégrer <car> c’est la logique qui doit prédominer dans l’Eglise » (AL312).

Notre mission ? Jésus lui-même nous la donne par cet impératif « appelez-le ! » Et Bartimée s’entend dire tout à coup : « Confiance, lève-toi ; il t’appelle. » Quels mots fraternels allons-nous choisir pour inviter toute personne qui crois ne plus avoir sa place dans l’Eglise à la retrouver ? « Il s’agit d’intégrer tout le monde… Personne ne peut être condamné pour toujours, parce que ce n’est pas la logique de l’Evangile ! » (AL297) « Jésus lui-même se présente comme le Pasteur de cent brebis, non pas de quatre-vingt-dix-neuf. Il les veut toutes. » (AL309) nous dit François. La question est redoutable ! Nos communautés ont besoin de femmes et d’hommes capable de s’arrêter pour s’interroger : Qui laissons-nous sur le carreau ? Y-a-t-il des appels qui peuvent être étouffés par l’institution ? Comment notre communion sacramentelle au Corps du Christ pourrait-elle pleinement s’accomplir et nous satisfaire sans l’invitation de tous ses membres ? Car c’est tout particulièrement dans les sacrements que je grandis dans la foi, et ils me sont d’autant plus nécessaire si je suis affaibli, afin que ce Pain de Vie éternelle me soit « un généreux remède » (AL305, note 351)

Nous voyons alors la transformation qui s’opère pour Bartimée. Son insistance, sa pugnacité a fini par porter du fruit. Bartimée était hors de la ville donc exclu, il était mendiant donc dépendant et assisté, il était aveugle donc avec peu d’autonomie et surtout considéré comme pécheur, il était assis par terre détail nous indiquant qu’il avait perdu toute dignité, et enfin il était au bord du chemin donc en marge, dans le fossé. Mais voilà maintenant que Bartimée jaillit, il surgit de son fossé : il ressuscite ! Rejetant son manteau, le poids de sa vie passée, il jette toute sa confiance en Jésus. Et celui-ci l’invite à formuler son désir le plus profond : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Rabbouni, que je retrouve la vue ». Sa foi, et Jésus pour l’entendre, lui rends sa dignité et sa liberté : « va, ta foi t’a sauvé ». S’il y a guérison, il y a surtout et d’abord résurrection et réintégration de Bartimée dans la communauté : il n’est plus exclu, dépendant ou assisté, il est autonome. Par sa parole, Jésus l’a rendu digne. Bartimée n’est plus au bord du chemin, il décide de lui-même de se mettre en chemin avec le Christ et d’avancer avec tous ses frères. Amen.

AL : Exhortation du pape François Amoris Laetitia (La joie de l’amour), 2016