Par Eric de NATTES

Jean 6, 60-69

Pain de vie : fin du discours

‘’Ces paroles sont rudes à entendre… beaucoup de disciples s’en retournèrent et cessèrent de l’accompagner.’’ C’est un moment charnière dans l’évangile selon St Jean.

Avoir foi : croire qu’en Celui-ci était, est, et vient à nous, la Vie, la Vie véritable, la Vie vivante, la vraie Vie, la Vie qui ne meurt pas, que l’on ne peut tuer ou supprimer. Avoir foi : croire que la Vie, par Lui, s’est révélée à nous par sa parole. Mais attention, sa parole, cela ne veut pas dire, un alignement de mots, car sa parole est vie et esprit. C’est ce qu’exprime le mot – logos – chez St Jean, et que nous avons bien du mal à traduire. C’est-à-dire que sa parole est agissante, sa parole est action, tout comme ses actes sont paroles. Lorsqu’il guérit l’aveugle né ou libère l’homme possédé ou empêche le meurtre de la femme ou qu’il s’invite chez le pécheur public, il scandalise, il interroge, il jette dans l’admiration, il dresse contre lui, il attire des foules, bref, ses actes sont le manifeste de la Vie au cœur de la vie de tous les jours. Mais lui sait en exprimer le suc, le sel, la lumière. Il lève le voile sur ce qu’est la Vie véritable nichée au cœur de la vie que l’on pense ordinaire. Et lorsqu’il exprime une béatitude ou conte une parabole, sa parole donne envie d’être meilleur, de vivre dans la logique de cette parole entendue et ré-écoutée, et assimilée, et sans cesse réinterprétée, ruminée. Ainsi donc, il ne s’agit pas d’apprendre des formules et de dire qu’on y croit, mais de se laisser pétrir par ce que sa parole provoque en nous. Au fond, nous croyons assimiler sa parole, la comprendre, et nous nous rendons compte que c’est elle, peu à peu, qui nous assimile et qui nous transforme. Elle nous fait entendre l’appel à la vie qu’elle suscite, ce que nous appelons notre vocation. Et puis aussi les changements de comportements, d’attitudes, de paroles, qu’elle engage.

C’est l’acte étonnant de transformation de cette parole qui fait corps avec nous, qui prend corps en nous. Qui fait naître en nous une vie plus qualitative, plus pleine. La foi est centrale chez Jean, elle est l’œuvre de Dieu en nous. Avoir foi, c’est être sauvé, puisque c’est se laisser incorporer à la parole de la Vie, faire corps avec la Vie elle-même. Oui, ‘’ces paroles sont ‘raides’ à entendre’’ disent les disciples qui vont partir. Quelle prétention !

Ne peux-tu pas te contenter de vivre décemment ta vie sur cette terre et t’en aller dignement ? Ne peux-tu t’en tenir aux apparences qui sont peut-être bien l’unique réel. Tu nais, tu vis du mieux que tu peux et tu meurs. Point ! Beaucoup de nos contemporains cherchent une sagesse raisonnable pour vivre cette vie-là. Jésus nous fait perdre pied et nous entraîne trop loin, là où l’horizon ne se laisse plus clairement distinguer, là où le sol se dérobe. Là où les interprétations restent des balbutiements. Croire que la Vie, celle de cet univers, celle qui traverse toute chose, qui nous déborde et dont nul ne sait d’où elle vient ni où elle va, croire que cette vie, elle veut naître en chacun de nous, prendre chair par nous, qu’elle s’adresse à nous, et que nous pouvons faire corps avec elle, la manger pour nous en nourrir. Qu’elle se fait présence et dialogue en nous.

Alors Jésus nous regarde et demande comme aux 12 : ‘’voulez-vous partir vous aussi ?’’ J’aime beaucoup la réponse de Pierre. ‘’Vers qui irions-nous ?’’ Cette question qui n’appelle pas de réponse peut indiquer en revanche un vrai débat intérieur de la part du disciple. Oui, j’ai pu aller voir ailleurs, m’enquérir d’autres voies et d’autres enseignements, mais aucune parole n’a trouvé écho en moi comme la tienne Seigneur. Cette parole qui pourtant me fait perdre mes sécurités et m’entraîne au large. Je suis comme la Samaritaine et tant d’autres qui t’ont rencontré. ‘’Tu as les paroles de la vie éternelle’’. Je t’écoute, Seigneur, car au plus profond de moi, je sens que tes paroles soulèvent la vie en moi, comme il en a été pour Zachée ou Lazare et tant d’autres jusqu’à aujourd’hui. Alors avec mes frères et sœurs rassemblés, je pense pouvoir dire avec toute ma fragile foi : ‘’je crois, nous croyons que tu es le Saint de Dieu.’’

Amen