Marc, 9, 2-10

Par Eric de NATTES

 

Transfiguration

‘’Sur cette montagne que Dieu lui indiqua, au pays de Moriah, ‘’Dieu mit Abraham à l’épreuve’’. La phrase nous choque toujours, bien sûr. L’épreuve de la foi, de la confiance. Et pourtant n’est-ce pas l’épreuve de toute mise au monde ? Mettre un enfant au monde, n’est-ce pas aussi le livrer à ce monde ? Et pourtant entrer dans la confiance. La chair de ma chair, l’enfant de la promesse. L’Unique, comme tout enfant d’une certaine façon. Es-tu conscient de cela, Abraham ? Isaac est ton fils, mais il est aussi l’enfant de ce monde, il est livré. Alors arrive l’interdit : « Ne porte pas la main sur le garçon. Ne lui fais aucun mal. » Le Père de toute paternité – le Père du ciel – interdit le sacrifice sanglant du fils. Dieu ne veut pas la mort. Il l’interdit : « tu ne tueras pas. » Le fils est donc rendu au père, vivant !

N’est-ce pas Jésus qui nous donne la clef de lecture ? Comme Isaac, Jésus est bien le Fils, l’Unique du Père des cieux et il gravit la montagne lui-même. La voix l’atteste : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, écoutez-le ! » En Lui, dit Saint Paul, ‘’Dieu nous a tout donné’’. Mais malheureux les disciples qui penseront que cela lui éviterait d’être livré à ce monde. Dans le chemin pascal il va leur falloir tenir ensemble le scandale de la mort violente, injuste, inique et la vie glorifiée rendue au Père.

Sur cette haute montagne, la transfiguration est bien plus qu’une parenthèse, un moment de lumière dans un chemin d’obscurité. Ces instants où la vie a pu et pourra nous donner le sentiment de la plénitude, de la joie. Ces instants sensés nous faire supporter le poids du quotidien. En vérité, sur cette haute montagne de la foi, c’est la transfiguration qui est le destin de l’homme, au milieu de la souffrance. Accueillir cela, c’est se mettre à regarder l’humanité autrement (Père Wrezinsky). Voir la gloire de l’homme sous les traits défigurés de la souffrance, du mépris, des crachats…

Les disciples descendent de la montagne en se demandant entre eux ce que voulait dire : ‘’ressusciter d’entre les morts.’’ Mais n’est-ce pas le fait des disciples que nous sommes nous-mêmes aujourd’hui. Nous écoutons la voix nous dire, à nous-aussi : ‘’ressusciter des morts.’’ Mais comment cela pourrait-il être un savoir pour nous aujourd’hui ? Car désormais, cela relève de la foi. Redescendant de la très haute montagne de la foi, qu’est-ce que cela veut dire désormais dans la limite épaisse de mes jours ? Une espérance ? Une assurance ? Un sursaut de l’homme devant l’absurdité de sa condition finie, souffrante ? Un horizon ?

Accepter de ‘’se demander’’, de ne pas ‘’savoir’’, c’est engager un chemin où je cherche. Je cherche désormais des signes, partout, au cœur du chemin sur lequel la Croix se dresse, de la vie qui renaît, de la vie qui se relève, qui surgit à nouveau. Écoute, dialogue, soin, partage de ce que l’on est, tout ce qui peut susciter la vie.

Un carême pour consentir à ce que ma vie soit elle aussi donnée, livrée. Un carême pour contempler dans le visage de Jésus, la gloire de l’homme, sa dignité et son destin. Pas seulement les marques de sa souffrance, de sa maladie, de son indignité, de la mort qui vient. Un carême pour faire mémoire de la manière dont ma propre vie a été suscitée, relevée, et pour aller vers ma renaissance.

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