par Eric de NATTES

Matthieu 16, 21-27

Derrière moi Satan !

Jésus montra comment il lui fallait souffrir en montant à Jérusalem, être tué.

Ce ‘’il fallait’’ qui exprime comme une fatalité a pu donner lieu à des interprétation sordides. Non, Dieu n’aime pas la souffrance : Jésus frémira d’angoisse devant ce qui l’attend. Non, ce n’est pas le Père qui veut du sang pour calmer sa colère : ‘’celui-ci est mon bien-aimé en qui j’ai mis toute ma joie . » C’est le refus de l’homme, et tout particulièrement des chefs religieux qui va dresser la croix sur le Golgotha. Pas un Dieu pervers.

En revanche, ce ‘’il fallait’’ exprime que Jésus ne se dérobera pas à ce monde. Il n’y aura pas de solution miraculeuse. Pas de fuite dans l’imaginaire. C’est dans ce monde tel qu’il est, avec sa limite ultime, la mort ; dans ce monde, empli de la violence des hommes, que Jésus manifestera le chemin de Dieu. Dans toutes les rencontres que Jésus vit dans les Évangiles, rencontre souvent avec la souffrance de l’homme, son exclusion, mais aussi dans la joie des repas partagés ou des noces, oui, dans toutes ces rencontres, les paroles de Jésus, comme ses gestes, sont en faveur de l’amour qui se donne, de l’agapê. Délivrance, guérison, pardon, surabondance du vin de la fête, commensalité avec les pécheurs, les publicains… Cette façon d’agir et d’être de Jésus révèle le visage du Père qui ne veut pas la mort du pécheur mais qu’il vive et soit sauvé.

Alors, lorsque l’inéluctable arrive, la mort, et la mort par la condamnation injuste, quelle sera, une fois encore, une ultime fois, sa manière d’être pour manifester le plus grand amour dans cette situation d’angoisse, de tourment et de mort ? Elle sera de faire de sa mort, le don de sa vie. « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. » Il n’y a là aucun amour de la souffrance mais un retournement de la souffrance en amour. C’est ainsi que le mal est vaincu si je puis dire. Il ne s’emparera pas du cœur de l’homme-Dieu qui restera libre jusqu’au bout d’aimer : ‘’ comme il aima les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’au bout. » C’est ainsi qu’il demeure un vivant. C’est ainsi qu’il consentira à cesser d’être-en-vie pour être ‘’le vivant’’. Ceux qui tuent restent en vie mais ne sont plus désormais des vivants. C’est ainsi que le jugement s’accomplit, ‘’chacun selon ses oeuvres’’. Le Fils de l’homme, lui, est désormais en Dieu.

Passe derrière moi Satan.

Alors, la condition du disciple face à cette annonce ? Là encore, Pierre devient le porte-parole des disciples. C’est le refus dans un premier temps ! ‘’Il lui fit de vifs reproches.’’

Par l’interpellation très vive de Jésus, Pierre est ramené à sa condition de disciple : il n’est pas en avant de lui, lui dictant sa conduite, mais derrière lui, suivant son chemin pour le comprendre et en vivre à son tour.

Pierre vivra très exactement ce conflit durant la passion. Le refus par le reniement. Puis le consentement par son propre don. Entre les deux, l’amour de Jésus posant son regard sur lui. Pierre pourra alors lui aussi donner sa vie à cause de lui et devenir lui aussi un ‘’vivant’’. Faire de sa vie un don.