par Eric de NATTES

Matthieu 18, 21-35

Débiteur impitoyable

Cher Saint Pierre ! Jésus t’avait donné le pouvoir de délier sur terre… Et tu veux entrer dans une comptabilité du pardon. Comme les Rabbins de l’époque. Et, il faut le dire, tu te montres déjà beaucoup plus généreux qu’eux, car ils s’accordaient plutôt sur le chiffre de 3 pardons possibles. Toi, cher Pierre, tu vas jusqu’à 7. Ce qui, il faut bien le dire à nouveau, paraît à beaucoup d’entre nous, déjà assez compliqué, voire impossible. Cela demande un grand coeur.

Alors Jésus te raconte une parabole. Tu sais que la parabole est là pour te faire entendre quelque chose, pour que ton être tout-entier devienne écoute. Un roi décide de régler ses comptes. Nous voilà bien dans de la comptabilité. Et voici qu’un serviteur se présente avec une dette colossale ! Soixante millions de pièces d’argent ! Alors le roi réagit en comptable : le vendre, lui et sa famille, tous ses biens… en remboursement, certainement d’une partie de la dette, mais ce sera toujours ça !

Alors le serviteur, lui aussi dans une logique comptable, demande de la patience et un échéancier. Cela paraît raisonnable et appliquer une forme de justice. Même si nous ne voyons pas comment il pourra rembourser, même sur 25 ans, une pareille dette.

Ici, tout bascule ! Le roi quitte la logique comptable. Le voici saisi de compassion. Ce roi ressemble étrangement à ce Dieu qui a des entrailles de mère comme le dit déjà le prophète. Il est ému par la misère de cet homme. L’impasse dans laquelle il est désormais engagé. Aucune solution comptable n’est possible en réalité. C’est alors la logique du don qui peut ouvrir un chemin nouveau. Sa dette colossale lui est remise. C’est hors de proportion. Cela dépasse toute logique de stricte justice et a fortiori de logique comptable.

Ainsi, le pardon ne se marchande pas, ne se comptabilise pas. Un peu comme à l’époque où l’on donnait de grosses pénitences pour de gros péchés. Comme si c’était bien l’effort de l’homme qui finalement achetait avec peine, le pardon marchandé. Pas de pénitence, mais juste un don, énorme, colossale. Telle est la logique de ce roi et de son royaume.

Est-ce à dire que le débiteur comprend ? La parabole ne fait pas rêver. On ne passe pas d’une logique comptable, à la logique du don en un instant. Le don qui lui a été fait n’a pas changé son coeur, son cadre étroit de pensée, ses références, et la mesquinerie que tout cela produit. Lui, continue d’agir envers son prochain dans ce cadre-là, et il exige le remboursement de la dette minime de son frère.

Alors le roi le prend au mot : « la mesure qu’il utilise pour les autres sera donc utilisée pour lui. » Il devra tout rembourser. C’est irréaliste bien sûr, mais c’est une parabole. Voilà ce qu’elle essaie de te faire accueillir cher Saint Pierre. Et toi, ton coeur cheminera-t-il pour entrer dans la logique du roi ? Car toi qui renieras celui à qui tu poses cette question, à combien s’évaluera ta dette ? Penses-tu pouvoir la rembourser ? Le don te sera pourtant fait, cher Pierre, en un regard d’amour posé sur toi par Jésus alors que le coq est en train de chanter.

Le pardon est un chemin. Il faut l’accueillir dans sa vie, déjà, pour oser en faire le don.