par Eric de NATTES

Matthieu 26, 14-27, 66

Rameaux 2020

Frères et sœurs, je préfère introduire notre lecture de la Passion plutôt que de faire une homélie qui la conclut. Car c’est à chacun d’en comprendre les interpellations dans sa propre vie, en ce temps si particulier.

Nous venons de contempler Jésus le Roi-Serviteur entrant dans Jérusalem. Le tableau possédait quelque chose d’exaltant : toute cette foule qui acclamait ! Le récit de la Passion va nous obliger à en regarder les conséquences ultimes. La figure royale va devenir effrayante par la cause de la violence humaine : une couronne d’épines enfoncée sur la tête, un sceptre de justice avec lequel il est flagellé, mais aussi revêtu de la pourpre de son propre sang, et finalement le trône qui est l’instrument du supplice : la Croix. Plus rien d’exaltant ! Avec désormais une foule qui vocifère et qui hurle toutes ses frustrations, ses colères rentrées, ses humiliations en se retournant contre un innocent. Comme un bouc-émissaire qui absorbe la violence du peuple pour l’apaiser.

Les vainqueurs de l’histoire seront-ils donc toujours les plus puissants avec l’autorité écrasante de leur violence ? Jésus ne fait pas rêver, contrairement à d’autres idéologies. La société pacifique et juste n’est pas pour demain. S’il nous faut travailler inlassablement aux structures, leur transformation ne suffit pas à changer l’humain. En écoutant ce récit et en l’intériorisant, c’est à chacun de prendre conscience que le combat se joue d’abord en lui-même. Les douze, Pierre, Judas, les autorités militaires (Pilate, les soldats), les autorités religieuses (Caïphe, les Grands Prêtres) avec les scribes et les serviteurs, la foule qui forme comme un chœur qui condamne, injurie, se moque ou se lamente, Le centurion, Barabas, Joseph d’Arimatie, les femmes, les spectateurs silencieux… Tout est fait pour nous faire contempler Jésus, le juste condamné à mort, mais selon les points de vue multiples des personnages que nous pouvons être.

Contempler Jésus ! Il ne s’agit pas de lire ce récit comme une tragédie grecque pour en remarquer la pertinence ou ressentir l’émotion esthétique de surface qu’elle peut susciter. En quelque sorte, quitter le spectacle, comme une partie de la foule, avec le sentiment fugace d’être purifié, lavé, d’avoir pleuré, mais jusqu’à la prochaine montée de violence. Quelque chose qui me touche mais ne transforme pas et qui ne m’engage pas !

Vendredi prochain nous ne pourrons pas nous rassembler pour cheminer avec Jésus, ni pour venir vénérer la Croix. Et alors ? Nous avons mieux à faire, nous qui sommes croyants, que de gémir sur les conditions de nos pratiques. Ces conditions nous engagent à aller au cœur de leur signification véritable alors que le monde a peur, que la mort rôde et que pourtant des milliers de personnes font don de leur propre existence, dans l’inquiétude, mais le font, pour permettre à d’autres de vivre. Contemplons la Passion qui se vit dans notre monde.

Frères et sœurs, que chacun regarde, s’arrête, en lisant la Passion : une attitude, une phrase qui m’interpelle ; que veut-elle dire pour moi ? Que chacun plonge en lui-même. Car c’est bien le baptême véritable, celui de Jésus, qui se produit sous nos yeux. Mourir à sa violence, à tout désir de dominer et renaître à la vie véritable, reçue et donnée. Contempler Dieu dans cette figure du Serviteur/esclave, broyée par les puissants, et non plus dans l’idole qui domine et maîtrise, qui punit et récompense.

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Introduction à la liturgie des Rameaux

Seigneur Jésus, Te voilà présenté, avec cette entrée solennelle dans Jérusalem, comme le Roi qui est accueilli dans sa cité – la ville de la paix : qui porte pourtant si mal son nom – accueilli par tout le peuple. Des branches agités, des chants et des acclamations de la foule, des vêtements déposés sur le sol… oui c’est bien le rituel d’entrée des Rois dans l’Orient si coloré et démonstratif. Et Roi, tu l’es ! Pour Matthieu et pour nous. Souverain de la vie et de la miséricorde, prenant soin de ton peuple, accomplissant tout justice.

Et pourtant… à un détail près. Les Rois entraient à cheval, entourés des chars de leurs guerriers. Alors que Toi, te voilà monté sur la bête de somme, l’ânesse et son ânon. La monture du service, de l’humilité et de la paix. Ce que Matthieu dit tout en images pour illustrer les oracles prophétiques, Paul va le dire avec d’autres mots dans l’hymne aux Philippiens : Toi qui étais de condition divine, Tu t’es « anéanti » pour nous – on pourrait dire en langage moderne : Tu t’es fait « un moins que rien » pour nous – un serviteur ! Et c’est ainsi que Tu es Roi et que nous acclamons ton Nom au-dessus de tout nom : Jésus, le Christ du Père.

Seigneur en ce temps que nous traversons, nous n’avons nous-mêmes ni « le cœur fier ni le regard hautain » ainsi que le dit un psaume. Nous voici ramenés par nécessité à notre humilité. Et par un ennemi si petit qu’il en est invisible, contre lequel toute puissance guerrière est bien inutile, mais il est pourtant mortel ! Chaque jour nous voyons tant d’hommes et de femmes vivre en réalité ton Évangile, car au milieu de la mort, ils sont là pour secourir la vie, la relever, en prendre soin. Tu nous l’avais promis en quittant tes disciples : « vous ferez de plus grandes choses encore ! »

Alors Seigneur, viens ! Entre dans nos cités, nos maisons, nos hôpitaux… viens donner vigueur et force. En t’acclamant nous chantons pour nos frères et sœurs au cœur du combat pour la vie. Qu’ils le sachent ou non, notre gratitude est immense de les savoir au cœur de ton œuvre, car nous avons Foi !

Nous ne pouvons nous rassembler physiquement Seigneur, tu le sais. Mais nous voilà unis autour de Toi et Tu nous l’as promis : « deux ou trois réunis en mon nom, Je suis là, au milieu de vous. » En Toi nous dit Saint Paul, Dieu nous a comblé de toutes les bénédictions. Alors nous aussi nous agitons nos branchages et si nous n’en avons pas, nous levons nos bras et nos mains ! Pour recevoir de Toi toute bénédiction sur ces branchages qui t’accueillent, et plus que tout, sur nous-même, notre couple, notre foyer, notre fratrie, tous nos proches et ceux qui vivent avec nous, sur notre communauté paroissiale et notre cité, sur notre nation et l’humanité que tu as aimé jusqu’à donner ta vie pour elle.

Nous voulons lever la tristesse en cet instant et sécher les larmes pour entrer dans ta joie promise aux disciples. C’est de Toi seul que nous accueillons toute bénédiction : « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ! Amen !

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