par Eric de Nattes

Matthieu 17, 1-9

Transfiguration

D’une Montagne à l’autre ! Dimanche dernier c’était le diviseur, le tentateur, le satan qui faisait monter Jésus au sommet d’une haute montagne pour lui proposer la domination sur tous les royaumes et toutes les richesses de la terre, donc sur l’homme lui-même. N’avez-vous pas l’impression qu’une partie de l’humanité a planté sa tente sur cette montagne-là ?

L’inflation de l’Ego pour me faire croire que je vais ainsi commencer à exister vraiment, dans cette recherche effrénée, effarante, du « toujours plus », toujours plus de moi et tout autour de moi. Ça, c’est la gloire de ce qui brille et qui attire tant les « pies » paraît-il, bel oiseau dans son apparence, mais querelleur, vorace et voleur dit-on  !

Aujourd’hui, 13 chapitres plus loin, c’est Jésus qui emmène sur une haute montagne tout aussi symbolique que la première, trois de ses disciples. Mais pour une révélation lumineuse. Ce qui brille d’un côté ; ce qui est lumineux de l’autre. Regardons ! Notons d’abord que celui dont la lumière va être révélée est celui qui a connu la tentation de la domination, de « l’abus de pouvoir » pour le dire de manière contemporaine, qui l’a combattue et l’a vaincue en lui. Satan, l’amour mensonger et dévoyé est chassé. Non, Jésus n’est pas venu pour dominer notre humanité, pour abuser de la crédulité des hommes. Le chemin qu’il ouvre, s’il va vers la lumière de la vie, ne fera jamais abstraction de l’obscurité, de la mort elle-même. En revanche, le  refus sera définitif d’utiliser la force, la pouvoir qui subjugue (descends donc de la Croix si tu es le Fils de Dieu), refus de toute forme de violence pour soi-disant sauver les hommes.

 

S’il faut résister à la montagne de la tentation de ce qui brille, on ne s’installe pas sur la montagne qui révèle la lumière. Pierre ne comprend immédiatement. Comment le pourrait-il ? Ce qui est lumineux peut être aussi être une tentation : celle de fuir le monde, ses solidarités, sa part d’ombre, de chaos (combien de spirituels ont vécu cette tentation : St Augustin et tant d’autres). Jésus les fait « redescendre » si je puis dire. Il va falloir gravir la dernière colline : le Golgotha. Le lieu où le foi va vaciller. Comment Dieu peut-il exister, être Père, si Celui-là, le juste, l’innocent, peut mourir ainsi sur la Croix, si le mal semble bien avoir le dernier mot. Alors ils commenceront tout juste à comprendre ce que veut dire : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son unique, son bien-aimé. » Jésus est on ne peut plus clair : « ne parlez de cette vision à personne avant que le fils de l’homme ressuscite ». Donc qu’il passe par la passion et la mort. Si la foi ne s’est pas affrontée à la ténèbre, au doute, à la profondeur du mal, elle demeure quelque chose qui brille. Une surface qui ne peut prétendre à la lumière. Pour l’instant, sans le Golgotha, ce qui vient d’être aperçu demeure une « vision » ainsi que le dit très justement Jésus. Quelque-chose qui peut annoncer la lumière qui vient, mais certainement pas encore être ce qui est lumineux.

 

Il ne suffit pas de voir, encore faut-il écouter. On voit combien ce qui est vu peut rester trompeur. Voici qu’ils doivent écouter : « Celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me complais : écoutez-le. » Les mots comptent pour une oreille biblique. Certes la filiation exceptionnelle de Jésus est affirmée, la tendresse du Père aussi. Mais le fils « bien-aimé » rappelle Isaac, l’enfant qui part au sacrifice qui qui sera pourtant sauvé. Et celui en qui « Dieu se complait » est le serviteur souffrant d’Isaïe. Une dernière fois, le rappel est fait : la vie spirituelle ne peut être une fuite de ce monde, des tentations, de la passion et de la mort.

Seigneur délivre-nous de ce qui brille, c’est-à-dire de ce qui ne demande d’autre effort de notre part que notre admiration enfantine. C’est une illusion mortelle. D’ailleurs au final, tu touches les disciples, tu les relèves, et les fait redescendre. Tu les éveilles à la vie véritables. Tu les délivres du rêve illusoire. Tu les ramène au réel avec pourtant la vision de l’espérance d’un accomplissement. Tu fais d’eux des éveillés, et non des songe-creux.