par Eric de NATTES

Jean 11, 1-45

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Résurrection de Lazare.

Frères et sœurs bien-aimés, ces derniers dimanches, avec Saint Jean, nous avons mieux compris ces deux dimensions de la vie dans son évangile : être en vie, rester en vie, et puis être un vivant, avoir en soi la vie. Cette vie véritable, la vie en plénitude, la « vie éternelle » ainsi que St Jean la nomme, c’est déjà maintenant. Elle nous traverse, elle est source jaillissante ainsi que le disait le récit de la Samaritaine. Elle est en chacun de nous lorsque la vie reçoit le don et se donne, et que ce don est joie et non un devoir moral pesant. Lorsque la vie sort d’elle-même, de son horizon étroit et qu’elle trouve les manières d’aimer, concrètement, dans la situation présente, avec ses contraintes. Nous avons vu, par ses rencontres, comment Jésus est Celui qui vient en quelque sorte faire renaître cette vie-là en celui ou en celle qui, certes, est toujours en vie, mais qui n’est plus vraiment vivant : la Samaritaine, l’aveugle-né… et tant d’autres.

Il reste tout de même l’ultime question, par-delà toutes les morts qui sont déjà présentes dans nos existences cabossées, nos existences « prisonnières » comme l’eau du puits ou « assombries » comme celle de l’aveugle-né : oui, la question demeure de l’ultime « ennemie », la mort biologique, la cessation de notre « être en vie » et puis le deuil qui s’ensuit pour celles et ceux qui restent en vie. Comment poursuivre la vie véritable et non pas simplement survivre à celui ou celle qui est parti ?

Le récit d’aujourd’hui affronte cette réalité juste avant que la Passion de Jésus commence. La mort d’un ami, Lazare, ses sœurs, Marthe et Marie, Jésus et ses disciples, le voisinage… tout un monde qu’on voit réagir face à l’inéluctable. C’est la raison pour laquelle nous écoutons ce récit en ce dernier dimanche de carême avant que ne commence la Semaine Sainte :

Saint Jean organise son récit comme un « passage », une pâque, qui sera comme un signe de ce qui vient, la pâque de Jésus lui-même ! Chacun, dans ce récit, s’il veut vivre à nouveau, s’il veut vivre vraiment et pas simplement survivre dans le désespoir ou la peur, ou la résignation, va devoir passer d’une peur qui le ronge, d’un deuil qui l’accable, d’une émotion qui le submerge, pour aller vers Jésus, Seigneur de la Vie. Chacun en quelque sorte, va devoir « sortir » de sa position initiale pour aller vers la vie que Jésus lui propose. Jusqu’à la sortie, bien sûr, de Lazare lui-même, la sortie du tombeau.

Avez-vous bien repéré d’abord qu’il y a deux « Béthanie » dans ce récit : le village dans lequel Jésus est réfugié avec ses disciples parce que les autorités religieuses veulent sa mort. C’est à proximité de ce village que Jésus a reçu le baptême de conversion de Jean, le Baptiste. Et puis il y l’autre Béthanie, le village de Marthe et Marie où Lazare, malade, va mourir. Ainsi, le récit va faire traverser le Jourdain à Jésus pour affronter l’ennemie : la mort, et en sortir victorieux. Saint Jean, c’est sa manière de le figurer à travers un déplacement concret, un changement de lieu, nous parle ici du baptême selon Jésus. Non plus simplement une conversion pour échapper au jugement de Dieu, à sa colère qui vient, ainsi que le prêchait le baptiste. Mais pour passer de la mort à la vie. Pour une oreille biblique, les images affluent : voilà que Jésus est le nouveau Moïse qui fait atteindre non plus une terre promise, mais le Royaume, la vie en Dieu. C’est cela le baptême chrétien.

Ensuite, lisez le « passage », la pâque de chaque personne ou groupe de personnes qui sont chacun de nous.

  • Les disciples, dont Thomas résume le fatalisme : « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec Lui. » Les disciples vont devoir affronter leur peur panique de la mort. Nous savons ce qu’il en sera lors de la condamnation de Jésus. Nous les comprenons.
  • Marthe qui accourt au-devant de Jésus et qui sort donc du village, de la mort, pour aller vers la vie et qui fait une merveilleuse profession de foi : « Je le crois : Tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde. » Elle sort de sa tristesse et du reproche qui pointait sur ses lèvres : « Si tu avais été ici… »
  • Marie, appelée par sa sœur qui est désormais disciple par sa profession de foi qui vient du cœur et dont la parole est puissante puisqu’elle provoque sa sœur à sortir elle aussi. Marie submergée par l’émotion qui se répand sur tout l’entourage dont on ne sait plus trop s’il la console ou la maintient dans une vague de tristesse.
  • Les juifs enfin. L’entourage. Eux qui partagent l’émotion, qui ont le reproche et le jugement prompt sur Jésus. « Lui qui a guéri l’aveugle, ne pouvait-il pas être là ? »
  • Lazare enfin, celui qui ne dit rien, mais qui lui aussi est invité à rencontrer la Parole de vie : « Viens dehors ! »

 

Et puis bien sûr, Jésus, le Fils, Celui qui loue le Père alors que rien ne s’est encore passé. Parce qu’il a foi. Parce que la puissance de la mort pourra certes atteindre sa vie biologique, mais pas sa vie en Dieu, sa vie véritable, sa vie « éternelle », sa vie qu’il reçoit du Père et qu’il donne à son tour. C’est cette représentation que St Jean donnera dans la Passion : « Ma vie, nul ne la prend, c’est moi qui la donne. »

 

Seigneur, en ce temps où la mort rôde, je prends conscience de la pâque que j’ai à vivre : suscite ne moi la foi, l’espérance de cette vie en Dieu qui ne peut mourir. Alors je pourrai sortir de l’émotion négative qui me submerge et qui envahit mon entourage ; alors je pourrai accueillir la vie qui m’est donnée et trouver dans le temps présent la manière de la donner humblement, avec les contraintes lourdes de ce moment ; alors je pourrai louer le Père et retrouver la sérénité, et peut-être même la joie. Seigneur, oui, après l’écoute de cet évangile, je vais prendre le temps, comme Marthe, de redire ma foi, avec mes mots, avec ceux de la tradition.

Amen