par Robert THALVARD

Le 7 mars 2019, le cardinal BARBARIN était condamné à 6 mois de prison avec sursis. Ce 30 janvier, la Cour d’appel vient à l’inverse de prononcer sa relaxe. Cette contradiction ouvre le champ à toutes sortes de suppositions ou même de suspicions, et il peut être utile de chercher à l’expliquer. Mon propos se limite à ce seul point. Ce que l’on considère comme le cas BARBARIN pose de nombreuses autres questions, au sujet par exemple du retrait du cardinal ou du débat sur son retour, mais elles ne seront pas abordées ici.

Avec l’affaire des prêtres pédophiles, l’Eglise, on le sait, s’est trouvée gravement mise en accusation dans l’opinion publique. Pendant très longtemps, une sorte de mutisme collectif, d’omerta, était à l’œuvre, associant les victimes, les parents, les confrères, les structures ecclésiales. Les problèmes étaient traités exclusivement en interne, le plus discrètement possible, généralement par le déplacement du prêtre incriminé. L’institution cléricale pouvait ainsi sur le moment éviter d’être mise en cause, mais les victimes étaient manifestement oubliées. Il est vrai que le risque de récidive était alors mal cerné et la justice avait elle-même tardé à considérer la pédophilie comme un crime. L’Eglise n’était pas la seule concernée, dans l’Education nationale par exemple les enseignants suspectés étaient aussi simplement mutés. Mais dans l’Eglise la tentation des prêtres coupables, notamment dans les pays de forte tradition religieuse, se trouvait accrue par l’impunité de fait que leur assurait la dimension sacramentelle de leur mission. C’était là l’une des manifestations d’un cléricalisme qui permet beaucoup d’abus de pouvoir et qu’a dénoncé le pape François dans  sa lettre au peuple de Dieu du 20 août 2018.

Ces situations peuvent durer longtemps, mais elles ne peuvent pas durer toujours : tôt ou tard, des interrogations se formulent, la pression sociale devient moins forte, des révélations se font et, quand elles commencent à être entendues, c’est alors comme une digue qui cède. En l’espace d’une dizaine d’années, le contexte change radicalement. On l’a vu par exemple à propos du harcèlement sexuel avec l’affaire WEINSTEIN. S’agissant de la pédophilie, on le constate avec l’affaire PREYNAT (du nom du prêtre pédophile de Sainte-Foy) qui avait commencé dans l’ancien contexte et qui se trouve ensuite traitée dans un contexte très différent où les perceptions ne sont plus du tout les mêmes. Comme ce prêtre n’avait pas commis d’acte coupable depuis 1991, son changement de paroisse par les prédécesseurs du cardinal BARBARIN et sa confirmation ultérieure par celui-ci n’avaient pas provoqué de réactions. Mais il était nouveau et significatif que des anciennes victimes réagissent 30 ans après. Les anciens petits scouts de Sainte-Foy ont vu dans la présence en paroisse du P. PREYNAT un oubli de leurs souffrances et un risque réel pour des enfants. Le cardinal plus tard, à son procès, a  reconnu que cette présence constituait en effet une erreur. Celle-ci résultait du fait qu’il n’avait pas perçu le changement de contexte. Mais sur le moment, alors qu’il disposait de tous les pouvoirs à son niveau pour régler la question, il a hésité et préféré demander à Rome son avis. Cela a eu deux conséquences, d’une part les anciens scouts, regroupés dans une association dont la dénomination définissait clairement l’objet « La parole libérée », ont estimé inadmissible que le cardinal n’ait pas d’emblée tranché et ils ont demandé à la justice de le faire. D’autre part, parce que, comme on va le voir, la réponse de la Curie romaine a pesé sur le jugement du 7 mars.

Dans ce jugement, le cardinal a été condamné pour « non dénonciation à l’autorité civile des actes de pédophilie du P. PREYNAT ». Ce jugement a surpris car le prêtre avait déjà reconnu publiquement sa culpabilité, il n’y avait rien à révéler ou à dénoncer. En termes stricts de droit, l’infraction pénale n’est donc pas établie. C’est ce qui motive la décision de non-lieu du juge d’instruction, la demande de relaxe des procureurs de chacun des deux procès et la récente décision des juges en appel. Dans ces conditions, pourquoi la condamnation du cardinal le 7 mars de l’an  dernier ? C’est qu’un autre problème également se posait, celui du risque de récidive du prêtre auprès des enfants de sa nouvelle paroisse. Pour le cardinal, l’absence en 24 ans de toute récidive montrait  qu’il n’y avait plus de risque et en effet, dans le cas du prêtre incriminé, il n’y a pas eu de récidive. Mais  pour les anciens scouts, un pédophile restera toujours un pédophile et il est des risques qu’il ne faut absolument pas prendre quand une défaillance aura de très graves conséquences. L’opinion des juges du 7 mars a été la même et ils ont aussi estimé, au sujet de ce risque, qu’il n’appartient pas à l’Eglise d’être seule à l’apprécier : le pouvoir civil doit être impliqué, et même en définitive être le décideur. Les juges du 7 mars ont tenu à marquer leur réprobation devant la trop longue pratique par l’Eglise d’un traitement purement interne des cas de pédophilie en son sein, une pratique qui a conduit au constat mondial accablant qui l’atteint. Mais ils ne pouvaient pas condamner collectivement l’Eglise, les textes de loi ne leur permettent de juger que des personnes. Pour justifier leur condamnation, ils se sont appuyés sur la réponse du cardinal romain qui, tout en recommandant l’éloignement du prêtre, demandait à Mgr BARBARIN « de régler cette affaire en évitant le scandale public ». Pour ces juges, ainsi qu’ils l’ont clairement explicité dans leurs attendus, l’attitude du cardinal de Lyon a été conforme à ce qu’attendait de lui  son institution.

Il est capital, pour l’Eglise, d’être crédible dans sa volonté de rompre avec certaines pratiques. Benoît XVI et le pape François ont eu à ce sujet des paroles fortes. C’est ainsi que ce dernier a dit : « Face au fléau des agressions sexuelles perpétrées par des hommes d’Eglise à l’encontre de mineurs, il faut entendre le cri des petits qui demandent justice : le peuple de Dieu attend de nous de prévoir des mesures concrètes et efficaces ». Parmi ces mesures figure en premier lieu pour l’Eglise l’absolue nécessité de s’interdire désormais de vouloir résoudre en interne les problèmes posés par ces très graves agressions. Les mesures édictées par l’épiscopat français, qui associent étroitement les pouvoirs publics à l’instruction des plaintes et qui ont commencé d’entrer en application, satisfont à cette condition.