par Eric de Nattes

Matthieu 5, 17-37

« On vous a dit, moi je vous dis… »

N’oublions pas, nous sommes toujours très peu de versets après les Béatitudes ! Remplaceraient-elles avantageusement les commandements ? N’aurions-nous plus besoin de la loi lorsqu’on est disciple de Jésus ? Matthieu cherche une réponse pour sa communauté de « judéo-chrétiens » fidèles à la loi mais touchés par le message de Jésus. On est dans un climat désormais de très haute tension, après la destruction du Temple de Jérusalem, au sein du judaïsme lui-même, entre les juifs, à l’intérieur de la synagogue : ceux qui écoutent et suivent l’enseignement des chefs religieux (pharisiens et rabbis) et ceux qui introduisent le message de Jésus, Messie venu accomplir les Écritures.

Matthieu le judéo-chrétien s’explique avec ses « frères ennemis » si l’on peut dire, ceux qui refusent le message de Jésus, et pour conforter ses frères convertis à la Parole de Jésus. Tous, pour peu de temps encore, à l’intérieur du judaïsme, avant que la séparation ne se fasse et que naisse une communauté désormais « chrétienne ».

1°) « Celui qui rejettera un seul de ces commandements, et enseignera aux hommes à faire ainsi, sera déclaré petit dans le Royaume. » C’est on ne peut plus clair. La loi est nécessaire pour fixer les limites de la puissance de chacun. Il y a toujours une loi, partout où il y a de l’humain ! Et lorsqu’on dit qu’il n’y en a plus, alors désormais c’est celle du plus fort qui règne ou du plus malin, du plus escroc, du plus truand. L’arbitraire du plus puissant. Et nous découvrons vite que la vie devient elle-même impossible. Il nous faut préserver la loi. L’enseigner et en faire comprendre les enjeux pour vivre ensemble. La loi s’adresse à tous, mais elle est impersonnelle et au « passif » (« on » vous a dit, ou « vous avez appris »), elle s’exprime en négatif essentiellement : « ne pas ! » La loi, n’est pas le Royaume, elle n’est pas la Vie. Elle la permet.

2°) « Si votre justice ne surpasse pas celle des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » Il ne s’agit pas ici, bien entendu, d’un match pour savoir qui est celui qui a le mieux observé les commandements. Ici, ça peut être sans fin et sans fond, et ça peut aller jusqu’à l’absurde, le contrôle du moindre petit mouvement de son existence, les règles alimentaires sans fin, les purifications rituelles jusqu’à l’obsession… C’est tout l’inverse de la Vie véritable, de la vie ouverte. C’est la vie repliée sur soi, sur son héroïsme religieux à soi, peut-être l’orgueil le plus insidieux, l’orgueil qui croit faire le bien !

C’est alors que nous retrouvons dans ce que Matthieu appelle « l’accomplissement » de la loi, nos Béatitudes. « Vous avez appris : tu ne commettras pas de meurtres », voici l’expression de la loi, elle est essentielle. « Moi je vous dis, tout homme qui se met en colère passera en jugement ». Voici les Béatitudes qui apparaissent : « Heureux les doux, heureux les artisans de paix… » Ici, c’est la vie véritable. Essayez de vivre aux côtés d’un coléreux qui vous crie dessus et vous humilie dans ses paroles. « Vous avez appris : Tu ne commettras pas d’adultère », c’est la loi. « Moi je vous dis, tout homme qui regarde avec convoitise une femme a déjà commis l’adultère dans son cœur. » C’est ici la Béatitude : « Heureux les coeurs purs ». Car tu sais bien qu’une grande part du réel vient du regard que tu jettes dessus et qui révèle qui tu es. Il est déjà au fond de toi, en toi.

3°) « Si ton œil, ta main… te font chuter, arrache-les ! »

On comprend bien le caractère parabolique de ces injonctions. Mais que signifient-elles ? Peut-être bien qu’on ne peut entrer que blessé dans la Vie véritable, dans le Royaume. Car personne ne peut plus vraiment faire son fier ! Qui ne s’est jamais mis en colère, qui n’a jamais commis l’adultère dans son regard, qui n’a jamais juré ses grands dieux de…, qui n’a jamais insulté qui que soit, ne serait-ce qu’au volant de sa voiture… ?

Alors pourquoi est-ce essentiel de le dire, pourtant ? Certainement pas pour nous culpabiliser, ce n’est pas la manière de Jésus, et ça ne produit rien de bien bon. Il nous faut revenir à la première des Béatitudes sans doute : « Heureux les pauvres de coeur… ». Dans la vie véritable, dans le Royaume tu prends la vraie mesure de ton être, de ta petitesse, de tes limites. Alors la mesure que tu utilises pour les autres sera aussi humble, pleine de compassion. Tu ne les prendras pas de haut, en surplomb, pour leur faire la leçon. Tu les écouteras dans leur petitesse à eux, aussi. Une fraternité pourra naître, impossible dans le jugement qui vient d’en haut. Et tu pourras te réjouir que Dieu ait pris ta condition et ait endossé ton humanité non pas pour te condamner mais pour que tu vives et puisses prendre un chemin de vie.

Amen.