Par Amos BAMAL

Matthieu 6, 1-6,16-18

                                           La véritable récompense.

En entrant, sœurs et frères, ce soir dans le temps du carême par cette célébration solennelle du mercredi des cendres, nous ne sacrifions pas à quelque exercice suranné. Nous avons au contraire pleine conscience que partout dans le monde des millions de chrétiens catholiques, comme nous, de tous horizons et de toutes générations prennent le temps de se rassembler « entre le portail et l’autel » de leur église pour « revenir » à Dieu comme nous y invite le prophète Joël dans la première lecture de ce jour. Oui, en entendant ce prophète et surtout en contemplant le Christ au désert qui commence par se retirer pour mieux entrer dans son ministère public, nous prenons sur ce temps qui nous semble courir toujours plus et nous échapper. Raison pour laquelle l’Eglise nous offre ce temps de grâce pour s’arrêter ; s’arrêter pour évaluer et s’évaluer. Car comme nos appareils électroniques, téléphoniques et informatiques, notre foi a aussi besoin d’une maintenance, d’un entretien, d’une mise à jour.

En effet, chaque année, avec le mercredi des cendres, notre marche des 40 jours vers Pâques commence avec les trois lectures que nous venons d’entendre. Revenez à moi de tout votre cœur (Jl 2,12) dit Dieu à travers le prophète Joël. Laissez-vous réconcilier avec Dieu (2 Co 5,20), supplie Saint Paul en écho aux prophètes. Ton Père voit ce que tu fais en secret (Mt 6,4.6.18) confirme Jésus. Il s’agit vraiment de nous mettre sur la ligne de départ et de prendre la décision, ferme et énergique, de suivre le Christ jusqu’à sa passion pour avoir part à sa résurrection. Dans l’évangile de ce jour, Jésus donne des conseils sur l’aumône, la prière et le jeûne. Or pendant le carême nous sommes justement invités à les mettre en pratique de manière particulière. Et si nous lisons attentivement le texte de Matthieu, nous nous rendons compte que Jésus ne donne pas vraiment de conseils pratiques sur l’aumône (combien faut-il donner, à qui ?), sur la prière (combien de temps dois-je y consacrer ?) ou sur le jeûne (de quoi dois-je me priver ?). Ces questions sont importantes. Cependant c’est à chacun d’y répondre, en fonction de sa situation personnelle, de ses possibilités, des différentes circonstances de la vie.

Dieu regarde avant tout ce qu’il y a dans notre cœur, car c’est de là que procède ce que nous faisons, et là se trouve, en quelque sorte, le centre de notre personne. Ainsi les conseils de Jésus se situent au niveau du cœur, c’est-à-dire de l’esprit avec lequel nous pratiquons l’aumône, la prière et le jeûne. En réalité, si nous y prêtons bien attention, les conseils de Jésus dans ce passage peuvent se résumer à une seule chose : ce que tu fais, fais-le devant Dieu et pour Dieu. Le risque est grand, en effet, de transformer l’aumône, la prière et le jeûne en des moyens d’autosatisfaction. Il ne s’agit pas de remplir un cahier de charges dont on pourrait se targuer devant les hommes. Mais de mettre en pratique, chacun dans le secret de sa vie, la puissance de l’amour de Dieu qui seul voit dans le secret. Ainsi le jeûne ne doit pas être simplement vécu comme une diète hygiénique servant à perdre du poids ou à rétablir un peu de sobriété dans une existence souvent marquée par les excès. Non que cela soit une mauvaise chose mais Jésus nous invite à aller plus loin et à faire du jeûne une véritable offrande spirituelle, un moyen pour ouvrir plus grand notre cœur à Dieu et aux autres. Jeûner nous aide à entraîner notre cœur à l’essentiel et au partage. Le temps de carême est aussi le moment où la charité chrétienne est le plus recommandée. Cette aumône doit se manifester par des gestes de partage avec ceux qui sont dans le besoin. Mais l’aumône ne serait rien si elle ne se réduisait qu’à une offrande économique. Elle doit exprimer aussi l’ouverture de notre cœur dans la relation aux autres. En ce temps de carême enfin, la prière est une arme qui nous permet de résister à toutes les forces du mal et à raffermir notre foi et notre confiance en Dieu. Pendant ces semaines qui nous préparent à la célébration de Pâques, nous sommes invités à prier avec plus de régularité, avec plus de conviction, avec plus de ferveur. Au bout du compte le critère d’authenticité proposé par l’évangile, selon lequel nous devons vivre ce chemin de conversion, repose sur l’opposition entre l’ostentation et le secret. Ce que Jésus nous invite à faire, c’est de ne pas se contenter de petites satisfactions, mais de chercher la plus grande récompense. Il s’agit d’une initiation à l’intériorisation, non seulement de notre vie de foi, mais également de toute notre vie. Ne pas agir pour plaire aux hommes dans un désir d’ostentation et d’exigence de reconnaissance, mais pour la gloire de Dieu. C’est de cette façon que nous serons récompensé non pas par nous-mêmes, mais par Dieu, lui qui voit tout, même ce qui est réalisé dans le secret.

En ce début de carême 2019, entrons dans ce temps fort de l’Eglise non pas avec la tristesse et le désespoir, mais avec la joie confiante de la résurrection vers laquelle nous avançons. Puisse ce carême nous être profitable. Prions les uns pour les autres, les uns avec les autres ce soir pour nous encourager sur ce chemin ardu de l’union à Dieu et de la communion à nos frères et sœurs, afin que notre démarche de carême porte du fruit cette année dans nos vies et dans celle de l’Eglise.

                                                               Amen.