Par Jean-Claude SERVANTON

Luc, 6, 27-38

« C’est une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante qui sera versée dans le pan de votre vêtement… » Ce pan de vêtement, je me l’imagine comme le tablier dont on relève les bords pour le remplir de graines, de fruits, de légumes… On peut toujours y verser plus de contenu. Il est l’image de la mesure de la démesure.

La mesure… L’arithmétique nous a appris à mesurer les quantités, les longueurs, les largeurs, les surfaces, les volumes, la monnaie. Les poids et les mesures, leurs unités nous ont posé bien des problèmes, des calculs. La mesure… J’oubliais la mesure du temps, la mesure donnée par les horloges, la mesure en musique. Nous avons de l’admiration pour une personne que l’on dit « mesurée », c’est-à-dire équilibrée, qui ne fait ni dans l’excès ni dans une trop grande sobriété. La mesure c’est l’équilibre. La justice a pour image la balance… sur un plateau le poids de la faute sur l’autre le poids de la peine mesurée par la loi. La juste mesure, c’est le « donnant-donnant ». Jésus dit dans l’évangile : « faire du bien à ceux qui vous font du bien ». Mais au fait, « les pécheurs n’en font-ils pas autant ? » La mesure nous conduit à l’image d’un Dieu justicier, un Dieu qui soupèse nos efforts, nos mérites, nos manques pour les équilibrer de nos bienfaits. Mais est-ce le Dieu de Jésus-Christ ? La mesure suffit-elle pour témoigner de Dieu ?

Revenons au pan de notre vêtement ou de notre tablier dans lequel on verse graines fruits ou légumes, sinon nous restons sur le marché où tout se pèse ou au tribunal où nos actes sont pesés. Le pan du vêtement, le tablier dont les bords sont relevés n’est pas aussi exact qu’un plateau de balance. Nous voici invités par l’évangile même à la démesure non pas pour être meilleurs que les autres mais pour être dans la dynamique, dans la manière d’un Dieu qui est bon pour les ingrats et les méchants, pour être dans la dynamique de la miséricorde… Celle-ci est toujours dans la démesure. Je lisais un commentaire qui disait : avec Dieu, il ne s’agit pas de calculer pour être acquitté puisque nous ne sommes pas jugés. Le pardon ne se décrète pas au tribunal… il est par don, au-delà du don… J’allais dire par-dessus le marché, c’est-à-dire gratuit. Il n’a que faire des poids et mesures.

L’enseignement de Jésus révèle la démesure de l’amour de Dieu. Et sa vie est à la hauteur de cet enseignement… Il a vécu dans la démesure, nous le voyons bien à cause de sa passion… « Père, pardonne leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! ». Les accusateurs disaient à Pilate : « Selon notre loi, il mérite la mort… » et oui Jésus meurt parce qu’il s’est dit « Fils de Dieu » et parce qu’il a outrepassé la loi. Sa résurrection fait de lui l’image du nouvel Adam, dont parle Saint Paul… l’homme libéré venu du ciel, le témoin accompli de l’amour sans mesure de Dieu. Mais dans nos relations avec Dieu, n’allons pas chercher les plateaux de la balance mais relevons les pans de notre vêtement, de notre tablier, pour y accueillir la démesure du don de Dieu. Et dans nos relations avec les autres, de notre tablier vidons ce que nous avons-nous-même reçu.