Par Amos BAMAL

Marc, 7, 31-37

« Effata ! Ouvre-toi ».

Dimanche dernier l’évangile nous relatait une controverse entre Jésus, les scribes et les pharisiens à propos de ce qui est pur et de ce qui est impur. Immédiatement après cette dispute, l’évangile de Marc poursuit son récit en conduisant Jésus hors d’Israël. Tyr et Sidon, tout comme les villes de la Décapole, étaient considérées comme des régions à majorité païenne. C’est donc dans ce territoire habité principalement par les païens, que Jésus en ce dimanche guérit un sourd-muet.

En effet, on amène à Jésus un malade, et on le prie de le guérir. Il suffit d’étendre la main sur ce sourd-muet, comme il l’a fait sur tant d’autres, et la guérison se produira, immanquablement. Le malade pourra retourner chez lui délivrer du mal qui l’accable, au milieu de l’admiration de la foule. Jésus ne répond rien à ceux qui le supplient, mais il emmène à l’écart cet homme qui n’a pas pu présenter lui-même sa supplique. Loin de la foule il n’impose pas la main au malade comme on le lui avait demandé. Il met ses doigts dans ses oreilles, touche sa langue avec de la salive, en un mot il le refaçonne, selon des gestes qui rappellent ceux de la Genèse, l’homme créé à son image et défiguré par le péché. Puis il lève les yeux au ciel, pousse un soupir (comme pour implorer Dieu) et dit : « Effata ! Ouvre-toi » et le miracle s’accomplit. Alors les oreilles du sourd s’ouvrent, le nœud de sa langue se délie et il se met à parler correctement.

Le signe de la guérison du sourd-muet de l’évangile de ce dimanche peut être l’objet de trois grilles de lecture. Le premier niveau de lecture est celui du récit. Un homme blessé dans sa chair, de telle façon que toute communication avec les autres est impossible. Et cet homme est guéri par la puissance de la Parole du Christ. La visite de Jésus dans le territoire de la Décapole est d’abord un acte de salut parce que le Christ apporte la guérison à ce sourd-muet et à d’autres personnes. Mais la venue du Christ ouvre aussi une espérance, parce qu’à travers ces guérisons, il annonce que la séparation qui régnait entre juifs et païens est appelée à être brisée, et que les païens à leur tour vont pouvoir recevoir le fruit des promesses faites à Israël.

Le deuxième niveau de lecture est que, la guérison de ce sourd-muet est un symbole du peuple d’Israël, qui comme l’on souvent dit les prophètes, est sourd à la Parole de Dieu, donc aussi incapable d’une réponse valable. En effet, les païens qui assistent à cette scène de guérison, ne vont pas beaucoup plus loin que l’événement qui s’est accompli devant eux. Ils admirent le thaumaturge qui fait entendre les sourds et parler les muets. Ils ne comprennent pas que cet événement accomplit les prophéties qui annoncent la venue du Sauveur, telles que nous le dit le texte du prophète Isaïe que nous avons écouté dans la première lecture de ce jour. Les signes de la venue du Sauveur donnés par Isaïe sont précisément que « s’ouvriront les yeux des aveugles », que « le boiteux bondira comme un cerf » et que « la bouche du muet criera de joie ».

La troisième grille de lecture que je vous propose, nous concerne directement. Dans ces événements, comment découvrons-nous la puissance de Dieu à l’œuvre à travers la Parole du Christ ? Comment comprenons-nous, non seulement qu’il a ouvert les oreilles du sourd et qu’il a rendu la parole au muet, mais encore qu’il réalise la même chose pour nous ? Il ne s’agit plus alors d’une guérison médicale, comme si nous étions sourds et muets, mais d’une guérison plus profonde et spirituelle. Car la difficulté pour nous est bien de savoir comment nous entendons et comment nous annonçons la Parole Dieu. C’est chacun de nous, aujourd’hui, par la grâce de son baptême, que le Seigneur veut guérir de la surdité et de son mutisme spirituels. Il ya en nous un sourd-muet, fermé à ses frères et sœurs et imperméable à la grâce, incapable de parler à Dieu, et de communiquer avec les autres. Ecouter, parler…cela semble naturel ! Et pourtant que d’êtres parfois proches de nous que nous n’entendons plus, à qui nous ne parlons plus. Bien souvent, nous sommes repliés et renfermés sur nous-mêmes ; nous devenons incapables d’ouverture réciproque : le couple fermé, la famille fermée, le groupe fermé, la paroisse fermée etc. Ce qui est vrai, déjà, de nos relations humaines, est multiplié à l’infini dans nos relations avec Dieu. Pour écouter Dieu, nous sommes terriblement sourds. Pour proclamer la Parole de Dieu, nous restons souvent muets.

La parole « Effata ! Ouvre-toi », que le Christ prononce sur le sourd-muet en touchant ses oreilles et sa langue est une parole efficace qui concerne chacun d’entre nous. Il s’agit d’un ordre et d’un programme de vie.

*Ouvre-toi, toi qui t’enfermes dans la solitude et qui portes toute souffrance comme une rancœur.

*Ouvre-toi, toi qui es clos sur ton passé et qui traînes à longueur de vie le fardeau de tes souvenirs.

*Ouvre-toi, toi qui attends toujours d’être aimé pour te mettre en route vers l’autre.

*Ouvre-toi à cet homme, à cette femme, à cet ami(e), qui est encore plus seul(e) que toi, plus muet(te), et qui ne veut plus rien entendre parce que tu l’as trop souvent déçu (e).

*Ouvre-toi, toi qui enfermé dans tes soucis personnels et dans tes relations habituelles.

*Ouvre-toi à la nouveauté que Jésus te propose.

*Ouvre-toi surtout à la Parole de ton Dieu, qui vient te donner la force et la liberté, et qui agrandit chaque jour, si tu le veux, l’espace de ton espérance.

Puisse cette célébration eucharistique, faite en mémoire du Christ, être à la fois la source et l’expression de notre ouverture à lui comme à l’égard de nos frères et sœurs.

Amen.