Par Franck GACOGNE

Jean 2, 13-25,

Il y a quelques mois, un projet de loi envisageait de rendre payante l’entrée des cathédrales en France. Je ne sais pas si vous vous en souvenez. Les chrétiens n’ont alors pas tardé à lever la voix et à se faire entendre : absolument rien ne doit empêcher une personne d’entrer, de chercher Dieu et de le prier. Ce n’est pas qu’il y ait du commerce devant le Temple qui gêne Jésus : à Paris de multiples vendeurs de babioles profitent du flux des touristes qui entrent à Notre Dame sans entraver leur visite. Ce qui met en colère Jésus au Temple, c’est que ce commerce ne vend pas des porte-clefs, mais il vend Dieu ! Car le moyen de rendre un culte à Dieu étaient d’acheter des animaux à lui offrir en sacrifice. Et pourtant, le prophète Isaïe rapporte ces paroles vigoureuses du Seigneur : « Je n’ai que faire de vos sacrifices… Cessez d’apporter de vaines offrandes… » (Is 1, 11.13) et le psalmiste le rappelle dans sa prière : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : « Voici, je viens. » (Ps 39, 7-8). Et pourtant, des hommes hier comme aujourd’hui, continuent à lui offrir ce qu’il ne veut pas, et en en faisant un passage obligé pour les autres, ils filtrent l’accès à Dieu. Ce sont ceux-là que Jésus expulse car ils font commerce de la grâce, et c’est pour Jésus un contresens insupportable. Ils font obstacle à l’Evangile, à cette Bonne Nouvelle que toute relation à Dieu est absolument gratuite, qu’elle est un don et non pas un dû qui se monnaye et qui dénaturerait alors gravement le Dieu de l’Alliance.

Oui, Dieu attend notre venue libre. Que nous soyons assoiffé ou simplement curieux, il offre sa vie à chacun. Et dans la foi chrétienne, l’église est le lieu où nous le manifestons dans chaque célébration, à l’occasion de chaque sacrement. Aucune entrave n’est posée sur le chemin de ma rencontre avec Dieu, mais elle ne se fera qui si j’en prends les moyens, si j’en ai le désir, si j’exerce cette liberté que Dieu me donne d’entrer, de le rencontrer et de me nourrir de sa vie.

Jésus se met en colère quand nous entretenons une fausse image de Dieu, quand nous laissons penser qu’il est le Dieu du donnant-donnant. Non, Dieu n’est pas à vendre, et il ne voit pas l’homme comme un être à acheter. Dieu est à aimer comme il nous aime, c’est-à-dire gratuitement.

Je crois que l’on peut dégager aussi une seconde idée de cet évangile. En déclarant : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai », Jésus sous interroge sur le lieu où se trouve Dieu. Quand nous visitons une église pendant nos vacances, il n’est pas rare de lire à l’entrée : « Attention, vous entrez dans un lieu sacré ! ». Est-ce vraiment juste ? Est-ce le lieu qui est sacré, ou Celui qu’on vient y chercher ? « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai ». Voilà, ô scandale, que Jésus affirme que Dieu ne se met pas en boîte ! Même si la boîte est une cathédrale. Le sanctuaire dont il parle, c’est son corps. La radicale nouveauté que Jésus apporte c’est bien celle-ci : Le sanctuaire de Dieu, le lieu de Dieu, c’est l’homme. Dieu choisit d’y faire sa demeure, il choisit de résider en l’homme. Il est important que nous ayons des églises, des lieux de prière qui soient beaux, signifiants, des lieux qui respirent la sérénité et l’apaisement, mais à condition qu’ils nous conduisent en les quittant à chercher Dieu là où il se trouve. Au cours de l’Eucharistie, nous recevons le Christ par son Corps pour le porter par notre corps. C’est pourquoi quand nous quittons l’église-bâtiment, nous demeurons Eglise-Corps du Christ pour à la fois le porter mais aussi pour le découvrir dans l’autre que je rencontre. Car Jésus choisit de se rendre présent en tout homme, plus spécialement lorsqu’il est éprouvé ou diminué.

Saint Paul a des mots très forts dans la première lettre aux Corinthiens peu après le passage que nous avons entendu. Il dit « le sanctuaire de Dieu est saint », mais immédiatement après il ajoute : « et ce sanctuaire, c’est vous ! » (1 Co 3, 17). Je crois que pour Paul, le monde et Dieu ne sont ni séparés, ni amalgamés, mais en quelque sorte contenus l’un dans l’autre, c’est-à-dire que tout appartient à Dieu, mais que tout est confié à l’homme. « Le sanctuaire de Dieu est saint, et ce sanctuaire, c’est vous ! » C’est sur cette conviction que se fonde et s’appuie tout le discours éthique et social de l’Eglise, c’est là qu’une parole d’Eglise trouve sa cohérence, quand elle vise à dire la dignité de la personne humaine du début à la fin de sa vie. Tout homme est une histoire sacrée, l’homme est à l’image de Dieu. En fin de compte, il n’y a qu’un seul moyen de respecter Dieu, c’est de respecter l’homme, tout l’homme, tous les hommes. Amen.