Par Jean-Claude SERVANTON

Marc 1, 40-45,

Un lépreux vient vers Jésus et lui demande de le guérir. « Saisi de compassion, Jésus étendit la main… » Une ancienne traduction disait: « saisi de pitié… » en français la pitié n’est pas bien vue, elle paraît mièvre et condescendante. Alors de manière plus juste ou plus appropriée, la traduction liturgique propose aujourd’hui « saisi de compassion ». C’est mieux mais avons-nous pris la mesure de la compassion et si celle-ci nous révélait une qualité, une démarche de l’homme et en Jésus une qualité, une démarche de Dieu.

Le lépreux vient auprès de Jésus. Il désobéit à la loi qui l’oblige à rester à l’écart dans les endroits déserts. « Saisi de compassion », Jésus étend la main et le touche, et à son tour manque à la loi qui interdit de se laisser approcher. La compassion survient dans le désordre de la maladie, de l’exclusion. Pour elle la loi ne compte plus, seule compte la présence d’une personne humaine malade, exclue, défigurée. Elle est là et je suis là. Que faire? Jésus est pris en flagrant délit de solidarité. La loi est bonne, elle veut éviter la diffusion de la maladie et de plus, la lèpre est signe de péché. Il vaut quand même mieux éviter les mauvaises fréquentations. La compassion ne cherche pas la désobéissance, elle est un saisissement du cœur à la vue du mal. Elle est humaine, et par Jésus elle nous révèle le cœur de Dieu.

La compassion est l’émotion qui nous conduit à poser un premier geste d’accueil, d’aide, de solidarité. Par la suite nous dirons: « Je ne pouvais pas ne pas le faire. » Nous avons mis le petit doigt dans un engrenage qui va nous prendre tout entier ou de plus en plus. Le premier geste, la main tendue devient le début d’une histoire imprévue. Combien de grandes œuvres de solidarité ont commencé par un petit geste? Le saisissement nous a ouvert le cœur, nous a ouvert à un au-delà du raisonnable, nous a rendu tout simplement plus humain… et il est bon que cette blessure ne se referme pas.

Au terme du passage de l’évangile de Marc que nous venons de lire, l’évangéliste note: « Jésus ne peut entrer ouvertement dans une ville, il reste à l’écart dans les endroits déserts. » Il a pris la place du lépreux. La compassion ne l’a pas saisi une fois, elle marque toute sa vie. Elle le conduira jusqu’à la croix. Là il prend sur lui, lui qui est sans péché, il prend sur lui toutes les conséquences du péché, de la bêtise, de la méchanceté, de l’orgueil, de l’égoïsme. Toujours saisi de compassion, il prend la place de l’exclu. Mais son cœur compatissant reste intact sans volonté de vengeance… en lui le cœur de Dieu continue de battre. Et c’est pourquoi nous pouvons dire qu’il nous libère. Dans le récit de la passion celui qui se montre le plus humain est la victime.

Pourtant, nous ne pouvons nous arrêter là, Marc prend encore soin de noter: « De partout on venait à lui. » N’y aurait-il pas dans cette approche de Jésus une allusion à Pâques. La compassion de Jésus a ouvert une brèche, celle de la vie. Les lois et la raison sont nécessaires… La compassion crée des liens, elle donne vie à celui qui compatit et à celui qui en est l’objet. Pour le lépreux, pour Jésus, pour tous ceux qui ont appris la guérison, la compassion a fait se lever l’espérance d’un nouveau jour.