Par Franck GACOGNE

Marc 13,33-37

Le Notre Père… avant de nous attacher à son contenu, prenons conscience que nous apprenons dans les deux évangiles qui le rapporte ce que cette prière n’est pas :

  • Dans l’évangile de Matthieu (6, 7-13), Le Notre Père n’est pas une prière de rabâchage : « Lorsque vous priez, ne rabâchez pas comme les païens : ils s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. Ne les imitez donc pas, car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant même que vous l’ayez demandé. Vous donc, priez ainsi… » Et là, Jésus leur donne le Notre Père tel que nous le connaissons.

  • Dans l’évangile de Luc (11, 1-4), le Notre Père n’est pas une prière réservée à des initiés : « Il arriva que Jésus, en un certain lieu, était en prière. Quand il eut terminé, un de ses disciples lui demanda : « Seigneur, apprends-nous à prier, comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. » Il leur répondit : « Quand vous priez, dites… » Et là, Jésus leur donne le Notre Père, mais dans une version plus courte que celle de Matthieu.

Le Notre Père que nous récitons est donc la prière que Jésus offre à ceux qui s’interrogent sur « la bonne manière » de prier. N’hésitons donc pas à en faire usage sans modération.

Régulièrement, c’est-à-dire tous les 50 ans (et oui, l’échelle du temps de l’histoire de l’Eglise n’est pas celle de nos vies !), nous nous demandons si les phrases que nous prononçons en français sont fidèles à celles que l’évangéliste a voulu nous transmettre. Nous nous demandons si l’usage et l’évolution des mots de notre langue vivante ne risquent pas de changer la compréhension de ce que nous disons, voire même de conduire à des contre-sens. Voilà pourquoi la traduction française de la Bible que nous entendons dans la liturgie a évoluée il y a trois ans, et voilà pourquoi c’est aujourd’hui la formulation de la 6ème demande du Notre Père qui change. Jusqu’à aujourd’hui, nous demandions à Dieu-Père ceci : « Ne nous soumets pas à la tentation ». Est-ce que cela veut dire que, selon son bon vouloir, il pourrait le faire et que nous aurions alors besoin de l’implorer pour qu’il nous épargne cette difficulté ? Ce n’est pas pour rien si nous avons choisi aujourd’hui de vous faire entendre la lettre de Saint Jacques qui affirme vigoureusement ceci : « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : « Ma tentation vient de Dieu. » Dieu, en effet, ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne. » (Jc 1, 13)

Dans l’ancien testament mais pas seulement, il est fréquent pour un croyant d’affirmer que Dieu le met à l’épreuve, mais c’est différent que de dire que Dieu le tente, car seul le Malin, tel le serpent de la Genèse peut tenter. Au tout début de sa vie publique, Jésus est conduit, il est accompagné au désert par l’Esprit Saint (Mt 4, 1-11 ; Mc 1, 12-13 ; Lc 4, 1-13), lieu où il est bien soumis à une épreuve. Mais au désert, ce n’est ni son père ni l’Esprit qui le tente, mais le diable qui est là. L’Esprit est au contraire sa force et son soutien pour justement ne pas entrer, ne pas succomber à la tentation. De la même façon, à la fin de sa vie publique juste avant son arrestation à Gethsémani, Jésus, à l’agonie, prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et leur demande ceci : « Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation » (Mt 26, 41). Jésus lui-même est passé par l’épreuve, il nous a devancé et il en a été victorieux : il sait de quoi il parle. « Ne nous laisse pas entrer en tentation », voilà donc la nouvelle demande du Notre Père qui remplace celle que nous connaissions, c’est la prière que Jésus nous invite à dire. Je n’ai parlé que de la 6ème demande du Notre Père parce que sa formulation change à partir d’aujourd’hui, mais toutes les demandes de cette prière nécessiteraient une homélie à part entière tant cette prière est riche.

Alors je vais conclure par la fin du Notre Père, parce que souvent, on se pose des questions sur la finale « car c’est à toi qu’appartiennent le Règne, la puissance et la gloire pour les siècles des siècles ». Est-ce que cela fait partie du Notre Père ? Eh bien il faut répondre oui et non ! Non, parce que dans la plupart de nos bibles il n’y a pas cette « doxologie » après le verset 13 de Matthieu qui se termine donc par « mais délivre-nous du Mal ». Et oui cette finale en fait partie, parce que quelques manuscrits tardifs de l’évangile de Matthieu la mentionnent. C’est aussi le cas de la Didachè, un texte très ancien, contemporain des évangiles que l’on pourrait qualifier de « manuel pour premiers chrétiens ». Dans ce petit livre, il leur est demandé de dire le Notre Père trois fois par jour, et il comporte cette doxologie finale « car c’est à toi qu’appartiennent… ». C’est pour cela que le dimanche à la messe cette finale est bien dite ou chantée, mais le plus souvent dissociée, séparée du Notre Père.

Que cette prière Seigneur tienne en éveil notre foi tout au long de ce temps de l’Avent. Amen.