Par Franck GACOGNE

Matthieu 22, 15-21

De tout temps, quand il s’agit de payer un impôt, les réactions fusent, et les points de vue s’opposent. Du temps de Jésus, il en était de même. Chacun avait son avis sur la question, et c’était là une bonne occasion de pouvoir enfin piéger Jésus. Alors voilà qu’un véritable complot s’organise pour le coincer. Deux groupes qui habituellement ne peuvent pas se sentir vont se concerter : d’un côté des partisans d’Hérode collaborateurs de l’occupant romain, donc d’accord avec le versement de l’impôt et centrés sur la politique. De l’autre des pharisiens acceptant malgré eux cette taxe afin de garder leur liberté religieuse, donc des personnes centrées sur la religion et la loi juive. Et voilà que ces deux groupes, le politique et le religieux abordent ensemble Jésus pour le faire tomber dans un traquenard. Après avoir bien pris le soin de le flatter, ils lui posent cette question: « Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? »

Il n’y a pas d’échappatoire. Quelle que soit sa réponse, oui ou non, Jésus allait se mettre à dos l’un ou l’autre des groupes qui attendent sa réponse. Et bien Jésus sort de cette logique du permis-défendu pour les mettre face à leur responsabilité. On lui montre la monnaie de l’impôt. Cette monnaie a une effigie, elle représente César, c’est donc qu’elle lui appartient, « vous n’avez qu’a la lui rendre », dit Jésus ; ainsi, il satisfait les partisans d’Hérode. Par contre nous savons que cette monnaie comportait aussi une légende : l’inscription « Tibère divin César », et là Jésus conteste ce titre de dieu que l’empereur s’est donné en leur demandant de rendre au vrai Dieu ce qui lui revient ; ainsi, il satisfait les pharisiens.

Ce qui revient à César ce ne sont que des pièces frappées à son effigie, mais que pourrait-il revenir alors à Dieu ? Eh bien, je dirais, également ce qui est à son effigie, c’est-à-dire tous les hommes créés à son image et pour sa ressemblance. Toute cette humanité qui porte en elle cette empreinte du Dieu vivant. Ce que nous lui rendons c’est un merci, c’est une louange, Paul le dit avec enthousiasme aux chrétiens de Thessalonique : « À tout moment, nous rendons grâce à Dieu au sujet de vous tous, sans cesse, nous nous souvenons que votre foi est active… ». C’est le mouvement de l’Eucharistie qui rend grâce à Dieu parce qu’il ne cesse de se donner dans cette Parole et dans le Pain de vie. Mais il se donne gratuitement, c’est pourquoi cet argent de l’impôt n’est certainement pas le moyen de rencontrer Dieu.

Jésus ne cherche pas à se mettre tout le monde dans la poche, mais bien au contraire à renvoyer chacun à lui même. Le politique et le religieux s’étaient assemblés unis, concerté, pour monter un stratagème afin de mettre Jésus à l’épreuve. Et Jésus renvoi chacun d’eux en leur demandant de ne pas mélanger les genres : politique et religieux, sans pour autant choisir l’un à l’exclusion de l’autre. Cela peut nous poser des questions très concrètes à chacun : Est-ce que ma foi induit des convictions et des engagements pour la vie dans la cité, et lesquels ? Est-ce qu’un engagement politique visible doit taire mes convictions chrétiennes ? Je crois que l’évangile de ce jour vient éclairer ces questions. Il y a ceux qui fusionnent sans distinction le politique et le religieux. Et à une grande échelle, quand la loi de l’Etat et la loi de Dieu se confondent, on arrive alors rapidement à une « religion d’Etat » ou à un « Etat religieux », avec toutes les dérives que ces situations entraînent. Les média nous en apportent suffisamment de tristes exemples. Il y a ceux, et c’est sans doute plus une tentation pour nous, qui choisissent leur camp : être engagé sur terrain au coude à coude avec tous ; ou alors, partager ouvertement sa foi. Des personnes pensent que ces deux attitudes sont incompatibles, et choisissent alors l’une ou l’autre. Mais en répondant ni oui ni non à la question piège, Jésus ne choisis pas une attitude au détriment de l’autre. Mais lui-même en est la synthèse : Dieu se fait homme en Jésus, et c’est en tant que Fils de Dieu qu’il va s’engager dans les profondeurs humaines et prendre une place singulière dans la société.

Dans le texte de l’Eglise de France intitulé : « retrouver le sens du politique » sorti il y a un an, on pouvait lire ceci : « La laïcité de l’Etat ne doit pas dépasser son objectif en voulant faire de la laïcité un projet de société, en expulsant le religieux de la sphère publique vers le seul domaine privé où il devrait rester caché. Cette conception est néfaste pour la société. Elle ne respecte pas les personnes et engendre des frustrations qui vont conforter le communautarisme. Elle prive enfin la vie publique d’un apport précieux pour la vie ensemble. »

Comme chrétiens, je crois que Dieu nous appelle à vivre dans ce monde afin de pouvoir lui rendre ce qui lui appartient : l’homme créé à son image. Et il y a tant de lieux ou cette humanité est défigurée, tant de situations où les chrétiens peuvent travailler à construire cette ressemblance à Dieu, en s’engageant en raison de leur foi pour rendre à chacun une dignité humaine, une dignité d’enfant de Dieu. Amen.