Par Franck GACOGNE

Jean 9, 1-41

Dès le début de ce long récit, on nous présente un homme dont l’évangéliste Jean nous dit qu’il était aveugle de naissance, et tout de suite, les disciples ressortent les vieilles croyances. Vous savez, ces vieilles rumeurs qui nous sont transmises plus ou moins clairement à demi-mot, ou entre deux portes par des parents proches ou éloignés. Par exemple quand on vient d’avoir un enfant et que les grands-tantes ou les grands-parents assez rapidement commencent à s’impatienter et à nous demander quand le baptême aura lieu. Sous entendu, on ne sait jamais s’il mourait sans baptême quel serait son sort ? Dans notre récit, il ne s’agit pas du baptême des petits enfants, mais d’une autre croyance tenace : les disciples pensaient, comme beaucoup d’autres à leur époque, que la maladie était la conséquence du péché de celui qui la subissait ; ou bien s’il la subissait depuis sa naissance, que cette maladie devait être la conséquence du péché de ses parents. Attention, n’allons pas trop vite nous moquer, et imaginer que ce ne sont que des reliquats de croyances moyenâgeuses et archaïques dont nous, nous serions bien sûr depuis longtemps libérés. Quand il m’arrive une tuile et que je me dis intérieurement, même furtivement : « mais qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour que cela m’arrive… ». Je ne suis pas si loin des disciples qui eux aussi recherchent une cause à la maladie de cet homme. Eh bien la réponse de Jésus est on ne peut plus claire et catégorique : quand on lui demande qui a péché, il répond : « ni lui, ni ses parents ». Jésus coupe court à toute tentation de vouloir cultiver une foi superstitieuse. Jésus coupe court à toute réflexion qui laisserait entendre que Dieu puisse se venger. Alors, soyons nous aussi attentif à liquider ces réflexions, tout simplement parce qu’elles engendrent gravement de fausses images de Dieu qui sont la source et la raison de l’incroyance aujourd’hui.

Jésus ne cherche pas à expliquer. Encore moins à justifier, il agit. Jésus qui se présente comme la lumière du monde scrute intensément cet homme qui vit dans l’obscurité depuis sa naissance. Contrairement aux autres personnes de ce récit, l’aveugle ne va pas cesser d’évoluer dans sa connaissance de Jésus. Avant même la guérison, l’aveugle fait confiance dans la parole de Jésus. Celui-ci l’envoie vers la piscine de Siloé, et bien qu’il n’y voit toujours pas, il y va. C’est assez stupéfiant de voir le cheminement de cet homme, car après avoir trouvé la vue du corps, ce sont les yeux de sa foi qui vont s’ouvrir peu à peu. Dans un premier temps, il dit de Jésus qu’il est « l’homme qu’on appelle Jésus ». Il le qualifie ensuite de « prophète ». Cette progression qui va crescendo se poursuit : il dit ensuite de Jésus qu’il est « un homme qui est de Dieu ». Et enfin il confesse qu’il est « le Seigneur », en se prosternant devant lui dans un geste d’adoration. Ce n’est pas simplement son existence physique qui est illuminée, c’est toute sa vie intérieure. Il va alors faire cette belle profession de foi : « je crois, Seigneur ».

Alors que l’aveugle de naissance ouvre de plus en plus les yeux, et voit de plus en plus clair, les pharisiens, eux, font le chemin inverse et se refusent obstinément d’ouvrir les yeux et de regarder la réalité en face. Leur regard est malveillant. Ils ont le regard du soupçon qui déforme.

Nous avons vécu hier un temps fort du pardon. Parfois, le péché que l’on repère en nous, nous pèse à tel point qu’on s’imagine ne pas pouvoir vraiment être aimé de Dieu. Face à ce tourment, on peut trouver deux attitudes : la première, c’est de finalement renoncer à vouloir ajuster sa vie à celle que nous propose le Christ, se dire « à quoi bon ! » et se persuader que cela ne nous empêchera pas de vivre (même si c’est faux). A l’autre opposé, la seconde attitude consiste au contraire à s’infliger un conversion scrupuleuse et rigoureuse afin d’espérer avoir « droit » au pardon de Dieu. Autant vous le dire tout de suite que ni l’une, ni l’autre de ces attitudes ne reflète l’évangile.

Je crois que l’évangile de l’aveugle-né nous apporte une réponse lumineuse car le récit ne se situe pas du tout sur un registre moral. D’abord cet homme n’a pas de nom ce qui permet à chacun de nous de s’identifier à lui. Ensuite, une seule condition est nécessaire à son salut, c’est que sa cécité soit reconnue. Se reconnaître aveugle permet de désirer la lumière du monde. Dans le récit, la conversion de cet homme ou la proclamation de sa foi envers Jésus n’est pas un préalable ou une condition de sa guérison. Non ! C’est même exactement l’inverse. Il y a d’abord et en premier geste de salut, de guérison, de pardon (puisque c’est la croyance des pharisiens) dont les conséquences vont être la conversion, la reconnaissance, l’action de grâce, la foi. Hormis de se reconnaître aveugle, rien n’est demandé à cet homme qui puisse conditionner sa guérison.

Lumière pour l’homme aujourd’hui, Seigneur, atteins jusqu’à l’aveugle en moi : touche mes yeux afin qu’ils voient de quel amour tu me poursuis. (Didier RIMAUD) Amen.