Par Amos BAMAL

Matthieu 5, 13-16

Sel de la terre et lumière du monde.

         Après les Béatitudes de l’évangile de dimanche dernier, qui insistaient sur les dispositions intérieures des disciples : pauvre en esprit, doux et humble de cœur, artisans de paix etc., Jésus invite ses disciples aujourd’hui à prendre conscience de leur responsabilité face au monde et à afficher leurs couleurs en étant le sel de la terre et la lumière du monde.

         Tous nous connaissons l’importance du sel et de la lumière dans notre vie de tous les jours. En préparant la méditation de ce dimanche, j’ai pensé aux personnes qui pour diverses raisons, sont amenées à manger sans sel, à la moue qu’ils font chaque fois qu’ils prennent leur repas, au sourire qu’ils arborent quand ils prennent un repas salé. C’est clair, sans le sel, aucune nourriture n’a de goût. Nous nous en rendons compte lorsque, pour des raisons de santé on nous impose un régime sans sel. Nous avons le sentiment d’avoir été réduit à la condition de l’animal qui n’a besoin que de bourrer son ventre. L’homme, par contre, a besoin d’assaisonner ce qu’il mange pour qu’il ait de l’appétit et que l’acte de manger ne devienne pas une corvée austère.

J’ai également pensé à ceux qui n’ont pas de lumière, obligés d’affronter la nuit avec appréhension et chaque matin avec émerveillement. Je me suis demandé ce que serait la vie sans lumière, ce que seraient nos repas sans sel.

         Sel et lumière, voilà deux éléments de la création dont l’utilité, voire la nécessité, s’impose dans le quotidien de l’existence humaine, et dont la présence suffisante améliore la qualité de la vie. Le sel assainit, donne du goût et conserve les aliments, comme pour inscrire l’existence humaine dans la durée et la fidélité. Ce qui est vrai du sel l’est aussi de la lumière. Sans négliger le fait que mêmes les plantes ont besoin de lumière pour poursuivre harmonieusement leur croissance, il est impossible à l’homme de vivre, de travailler et surtout de s’épanouir s’il est réduit à demeurer dans l’obscurité. La lumière permet de discerner les formes, de distinguer les couleurs, d’apprécier les distances. Oui, qui dit lumière sous-entend assurance, sécurité, possibilité d’être, d’agir et de s’épanouir en toute liberté.

         Finalement, sel et lumière peuvent à eux seuls résumer notre vocation de chrétiens, appelés à être savoureux, à donner de la saveur et de l’éclat à nos sociétés devenues insipides et obscures du fait des souffrances et de l’hypocrisie, de l’individualisme et de l’indifférence, de la violence, du mensonge et de l’apathie.

         Le sel s’obtient par cristallisation à la suite de l’évaporation de l’eau. De même, le chrétien doit éliminer ce qui dilue ses convictions de foi, le rend fade et inefficace dans son témoignage. Le chrétien qui vit comme tout le monde, qui n’interpelle pas son entourage par son témoignage édifiant, qui s’accommode des travers de notre société ou de la culture mondialisée, ce chrétien a perdu sa saveur et devrait entendre la parole du Christ de ce dimanche comme une invective. Le Christ nous invite à donner du goût à notre vie et apporter un peu de chaleur, de fraternité et d’amour là où nous sommes.

         Pour avoir de la lumière, il faut une matière qui se consume, une énergie qui se dépense. Pour rayonner, la lumière suppose un abandon, une perte, une dépense, une consommation. Comment le chrétien peut-il être lumière du monde sans que quelque chose se consume en lui ? Si le chrétien n’est plus du sel pour un monde souvent fade et sans saveur, s’il n’est pas une petite lumière pour éclairer les ténèbres, il ne sert à rien. Le chrétien « caméléon », qui adopte toutes les modes et toutes les mentalités de l’heure, qui prend la couleur de son milieu de vie, n’a plus aucune utilité.

         En nous rappelant aujourd’hui, à nous ses disciples, que nous sommes le sel de la terre et la lumière du monde, le Christ nous invite à prendre conscience du rôle indispensable que nous avons à jouer pour la bonne marche de l’humanité tout entière. Le sel et la lumière n’existent pas pour eux-mêmes mais pour le service qu’on leur demande. En tant que baptisés, nous sommes envoyés en mission pour révéler aux hommes la saveur de leur vie. Il nous revient de faire en sorte que notre humanité ne sombre pas dans une existence fade, terne et sans joie parce que enfermée dans les ténèbres du péché.

         Le chrétien doit donc être un agent de transformation de la société à l’image du sel dans les aliments et de la mise en lumière des valeurs de l’évangile. Le Christ ne nous demande pas de changer le monde, mais de lui donner un peu de saveur, un peu de chaleur et de lumière. Jésus mort pour le salut du monde est en définitive ce sel et cette lumière que nous devons sans cesse intégrer dans notre vécu de baptisé pour plus de paix, de joie et de bonheur dans notre monde.