Par Franck GACOGNE

Matthieu 5, 1-12

On entend dans les médias et souvent on pense que sont heureux ceux qui vivent entourés, soudés, dans un groupe où l’on se connaît, où l’on se comprends. Quand on partage les mêmes valeurs.

C’est vrai, c’est très important d’avoir un groupe d’amis dans lequel on se sent bien intégrés compris, avec lequel on peut prendre toute sa place et être considéré, c’est ainsi que l’on peut s’épanouir. Jésus lui même s’est constitué un groupe de proches, les 12 apôtres. Et pourtant avec la béatitude « heureux les pauvres de cœur », il semble vouloir leur dire, vous serez profondément heureux si vous ne vous suffisez pas à vous-mêmes. Quel est le propre du pauvre, qui-plus-est les pauvres de cœur au sens large ? Et bien c’est d’exprimer un besoin, d’être en attente, de manifester le manque de quelque chose ou de quelqu’un… Si Jésus déclare heureux celui qui exprime un manque c’est justement parce qu’il n’est pas blindé, accomplit et déjà comblé de tout, donc fermé. Celui qui exprime un manque dit un désir, signifie qu’il est ouvert pour accueillir. Ouvert à la différence qui complète, ouvert à l’inattendu qui surprend, ouvert à Dieu qui offre son Royaume, c’est-à-dire toute sa vie, son amour gratuit. Il suffit d’une seule chose : exprimer ce manque et ce désir, car jamais le Christ ne s’impose à celui qui ne veut pas le recevoir.

On entend dans les médias et souvent on pense que sont heureux ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent. Ceux qui ne connaissent pas l’échec ni le chômage, ceux qui ont un plan de carrière et qui peuvent le mettre en œuvre, ceux qui bénéficient d’un travail qui leur procure le moyen de s’épanouir, et de vivre sans aucun souci matériel.

Quelle chance quand tout nous réussi et qu’il n’y a pas à se soucier du lendemain. Pourtant il y a des personnes autour de nous, et dans cette assemblée peut-être qui vivent une vraie détresse. « Heureux ceux qui pleurent, ils seront consolés ». Mais par qui et quand ? Oserions-nous dire à ceux qui ont planté leur examen, à ceux qui viennent de perdre leur emploi qu’ils ne doivent pas s’en faire parce qu’ils seront un jour consolés, sous-entendu, par Dieu au dernier jour ! Ils seront consolés après, on peut l’espérer ; mais dès aujourd’hui bien sûr, à condition que nous prenions ce rôle de consolateur. Dieu ne court-circuite pas les hommes, il n’agit pas sans nous. Ils seront consolés à condition que nous soyons avec eux dans l’empathie, dans la compassion avec des mots qui réconfortent, avec des gestes qui soulagent. Ces mots, ces gestes que le Christ lui-même posent grâce à ceux et celles qui veulent bien lui prêter leurs mains, leur bouche… nos mains, notre bouche

On entend dans les médias et souvent on pense que sont heureux ceux qui vivent en paix avec eux-mêmes et avec les autres. On entend qu’être en paix avec soi-même c’est avoir confiance en soi et en ses capacités. Qu’être en paix avec les autres c’est savoir s’ouvrir aux différences, aux nouveautés, dans un souci de découverte et de partage.

Oui, c’est une belle explication sur ce que signifie être en paix avec soi-même et avec les autres. Tout cela est très juste. Mais la béatitude que nous propose Jésus est celle-ci : « Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu ». Les « artisans » de paix, c’est-à-dire non seulement ceux qui bénéficient de cette situation, mais surtout ceux qui ont l’audace de la bâtir, de la construire, de l’entretenir là où elle fait défaut. Comme toutes les béatitudes, celle-ci invite l’homme à se dépasser. « L’artisan » ne coule pas un bloc de béton, il ciselle minutieusement la pierre, parce que la paix réelle au sein d’une famille d’une institution ou d’un pays s’élabore par volonté et par petites touches progressives. Elle naît et grandit dans un climat de confiance au fil des rencontres, des dialogues et d’un parti pris d’espérance posé sur tout homme… « Ils seront appelés fils de Dieu », parce que c’est l’attitude même de Jésus, sa façon de faire, sa marque de fabrique !

On entend dans les médias et souvent on pense que sont heureux ceux qui savent, ceux qui ont toujours le dernier mot : ils peuvent s’exprimer librement sans souci de se tromper et de se ridiculiser. Ils voient leurs avis écoutés, acceptés et respectés par tous.

         C’est vrai que dans notre société, les médias souvent mettent en avant ceux qui ont du bagou, les savants. Il semblerait que le choix de Dieu soit bien différent. Réécoutons cette deuxième lecture : « Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n’y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu’il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion les sages ; ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d’origine modeste, méprisé dans le monde, ce qui n’est pas, voilà ce que Dieu a choisi ». Saint Paul ne veux pas dire par là que Dieu choisit les faibles et les petits contre les savants, ou à l’exclusion des savants. Non ! Il veut surtout dire que choisir les petits en priorité, que leur donner la place qui leur revient, c’est-à-dire la première, c’est la seule garantie de ne laisser personne sur la touche. Mais plus que cela, en appelant ses disciples parmi eux, Dieu signifie que l’Eglise, si elle veut demeurer fidèle au Christ doit être faible et modeste (et non pas forte, triomphante ou conquérante), mais également avec un brin de folie (c’est-à-dire audacieuse et entreprenante). La question est donc : avons-nous l’audace de choisir ceux que Dieu choisit ?