Par Franck GACOGNE

Luc 18, 1-8

« Qu’est-ce qu’il me casse les pieds » Rassurez-vous, je ne parle d’aucun d’entre vous ! Mais c’est ce que se dit ce juge face à cette femme qui vient le harceler pour qu’on lui rende justice. A travers cette parabole, Jésus veut nous parler de la prière, non pas pour bombarder Dieu de demandes ; je crois qu’il y a peu de risque. Il y a aujourd’hui infiniment plus de personne qui l’oublie, qu’il n’y en a qui le harcelle ! Mais l’évangile nous invite à être tenaces dans la prière à la manière de cette veuve qui réclame qu’on rende sa situation plus juste. C’est l’introduction de notre passage : « Jésus disait à ses disciples une parabole sur la nécessité pour eux de toujours prier sans se décourager ». Pourtant, le découragement est souvent au rendez-vous. Est-ce que Dieu me répond quand je crie vers lui dans ma prière ? Quand je lui dis ma souffrance de voir telle ou telle personne que je connais qui est malade, accidentée ou abandonnée ? Contrairement au juge sans justice, Jésus affirme que Dieu lui nous « fait justice sans tarder ». A bon ! Que l’on nous dise alors à quoi cela se voit ? Reconnaissons qu’il y a parfois de quoi en perdre la foi, il y a de quoi renoncer. Peut-être même qu’il y a des personnes autour de nous qui enfoncent le clou en nous disant : « Mais pourquoi est-ce que tu perds ton temps à prier un Dieu qui ne te répond pas ? Dieu est-il sourd ? Indifférent ? Que fait-il pour toi ? Où est-il ton Dieu ? » Il y a quelques années dans une équipe que j’accompagnais, quelqu’un disait qu’il hurlait de rire quand à la télé il voyait des gens témoigner qu’ils voyaient Dieu agir partout, des personnes pour qui tout et n’importe quoi est signe évident de Dieu. Et pourtant il ajoutait modestement et même surpris, que dans sa vie, il lui semblait que Dieu avait bel et bien été présent ces dernières années à tel ou tel moment charnière, mais d’une façon discrète et cachée, il disait qu’il avait même interprété des rencontres des paroles fortes comme des signes de Dieu, parce qu’elles ont déclenchées pour lui une démarche pour rendre une situation plus juste. Et bien de cette façon, il disait aux autres de l’équipe que dans la prière Dieu pouvait se percevoir non pas dans l’attente d’un signe parachuté d’en haut, mais dans une démarche de conversion, quand on se met à rechercher ce qui est juste, c’est le sujet de notre évangile : la justice.

Il reste que le silence de Dieu est pour beaucoup d’entre nous pour ne pas dire tous, une épreuve. Peut-être bien que l’on se trompe sur ce que Dieu est capable de faire. Attention, si le but de ma prière est de le contraindre à exaucer tous mes désirs, si l’objectif de ma prière est de l’exhorter à satisfaire mes exigences, alors je mets Dieu à l’épreuve, alors je le l’asservit à devenir l’instrument utile dont j’ai besoin. Je crois que la prière du croyant doit essayer de tendre à ne connaître plus qu’une seule demande : celle de pouvoir adhérer totalement par tout son désir au désir de Dieu. Et Dieu n’a pas d’autre désir que de faire de nous des êtres libre grâce à son amour donné, par son amour donné. Le croyant prie et rend grâce, non pas pour que Dieu (ré)agisse, mais bien parce que déjà Dieu agit comme puissance de vie. Comment Jésus prie-t-il ? La veille de sa passion au jardin des oliviers, Jésus exprime son angoisse vers le Père. « Que s’éloigne de moi cette coupe ». Il connaît alors lui aussi une souffrance redoutable, celle du silence de Dieu. Jésus a-t-il été exaucé ? En tout cas il est passé par la croix. Alors, est-ce que le véritable exaucement de sa prière n’est pas dans sa résurrection bien au-delà, et bien plus peut être que tout ce qu’il n’osait demander ou même percevoir clairement. Dans la parabole d’aujourd’hui, à la question « Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient vers lui jour et nuit ?», Jésus ne répond pas : « je vous le déclare : bien vite, il exaucera toutes leurs demandes », mais il leur répond « je vous le déclare : bien vite, il leur fera justice », c’est-à-dire, il les ajustera à lui, il les fera vivre dans son amour.

« Cependant, le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Elle est terrible cette question, elle doit nous remuer aux entrailles ! Trouvera t-il la foi, c’est-à-dire, trouvera t-il des hommes et des femmes qui ne se suffisent pas à eux-mêmes, des hommes et des femmes qui n’auront pas cherchés à élaborer par eux mêmes les réponses à toutes les questions de leur existence et de leur devenir. En fin de compte, le Fils de l’homme trouvera t-il des priants, car qu’est-ce que la foi sinon s’en remettre humblement à l’Autre pour que Lui puisse donner sens et épaisseur humaine à toutes les échanges que nous avons avec les autres, s’en remettre à Dieu pour que notre vie s’ajuste à la sienne. C’est de cette façon-là, qu’avec notre consentement, Dieu fait justice. Amen